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Une palpitante histoire pour trois enfants

Salzburg
Grosses Festspielhaus
07/27/2018 -  et 31 juillet, 4, 7, 15, 24*, 30 août 2018
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 620
Matthias Goerne (Sarastro), Mauro Peter (Tamino), Albina Shagimuratova*/Emma Posman (La Reine de la Nuit), Christiane Karg (Pamina), Ilse Eerens (Première Dame), Paula Murrihy (Deuxième Dame), Geneviève King (Troisième Dame), Adam Plachetka (Papageno), Maria Nazarova (Papagena), Michael Porter (Monostatos), Tareq Nazmi (L’Orateur, Premier Prêtre, Second Homme armé), Simon Bode (Second Prêtre, Premier Homme armé), Klaus Maria Brandauer (Le Grand-Père), Wiener Sängerknaben (Les trois enfants)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Ernst Raffelsberger (chef de chœur), Wiener Philharmoniker, Constantinos Carydis (direction musicale)
Lydia Steier (mise en scène), Katharina Schlipf (décors), Ursula Kudrna (costumes), Olaf Freese (lumières), fettFilm (vidéo)


(© Salzburger Festspiele/Ruth Walz)


Le rideau du Festspielhaus se lève sur la vue en coupe d’une demeure bourgeoise du début du siècle dernier. Dans la salle à manger à gauche, en hauteur, trois générations sont attablées : le grand-père, un couple de parents en crise, trois enfants turbulents qui arrivent en retard pour le dîner... Toute une domesticité s’affaire autour : un trio de soubrettes, une cuisinière, un sympathique garçon boucher, un ramoneur... pendant que se joue l’Ouverture, où même les claquements de porte sont intégrés aux bons moments dans la musique. L’ambiance est tellement agitée que le grand-père (le comédien Klaus Maria Brandauer, célèbre vétéran de la scène allemande, 75 ans) juge plus prudent de mettre d’autorité les enfants au lit. Les trois garçons en chemise de nuit attendent leur conte du soir, pendant que bien calé dans son grand fauteuil le grand-père ouvre un grand livre et annonce... Die Zauberflöte !.


A ce moment, on pressent une n-ième suppression des dialogues parlés de La Flûte enchantée, au profit de textes de liaison déclamés par un récitant, tentation fâcheusement récurrente, au disque, au concert voire parfois à la scène. Pourtant cette fois, même si les chanteurs se retrouvent effectivement privés de presque toutes les phrases parlées du Singspiel de Schikaneder, l’amputation s’effectue plus subtilement. Le grand-père et ses trois petit enfants tissent leur propre toile autour du conte en y incorporant les éléments de leur environnement quotidien : Tamino est un soldat de plomb qui prend vie, les domestiques de la maison s’incarnent successivement, qui en Monostatos, qui en Papageno (le fils du boucher, avec pour seul oiseau une dinde prête à cuire sous le bras), qui en Dames de la Reine de la nuit, à mesure que les enfants s’approprient l’histoire jusqu’à se projeter physiquement dedans (en incarnant, eux bien sûr, les trois Knaben chanteurs)... L’idée est jolie et surtout elle offre à trois enfants des Wiener Sängerknaben des rôles en or. Seule réserve : l’intrication entre répliques parlées et chantées privilégie l’élan dramatique au point d’oser parfois superposer textes et musique, brèves séquences de mélodrame que l’on peut quand même juger insuffisamment respectueuses de l’intégrité musicale de l’œuvre.



(© Salzburger Festspiele/Ruth Walz)


Lydia Steier, jeune metteuse en scène américaine, et ses deux collaboratrices Katharina Schlipf et Ursula Kudrna, ne limitent toutefois pas leur propos à ces réminiscences d’enfance, ni même à un merveilleux scénique gratuitement spectaculaire. Bien que les figurants surabondent et que la machinerie du Grosses Festspielhaus soit utilisée à plein régime, cette superproduction laisse aussi entrevoir, sans lourdeur, d’autres niveaux de lecture. Sarastro règne sur un monde onirique proche du cirque, avec acrobates, écuyères, ours dansants, jongleurs, masques sur échasses... une congrégation bizarre qui prendra aussi au second acte des allures de foyer d’une possible révolution prolétarienne à venir. Sarastro lui-même est un personnage inquiétant, qui ordonne à la fin l’élimination physique de la Reine de la nuit et de ses sbires. Est-ce là la première d’une longue série de purges politiques ? Intense scène des épreuves aussi, rendue inhabituellement tragique par la projection d’images d’archives des deux conflits mondiaux, sous les yeux du couple Tamino-Pamina et des trois enfants terrorisés. Tout cela reste constamment pertinent, poétique, virtuose dans le traitement visuel, et même si on peut ne pas adhérer à toutes les options d’une telle production, la relecture fonctionne avec une vraie cohérence.


Musicalement aussi le projet est aventureux. En fosse, Constantinos Carydis tente une fois de plus d’imposer un Mozart repensé, dans le sillage d’un René Jacobs ou d’un Teodor Currentzis, mais avec des voies d’approche encore différentes. A Munich l’automne dernier, ses Noces de Figaro nous avaient semblé parfois aux limites du pari absurde, or ici des attitudes pourtant similaires fonctionnent mieux, peut-être parce que de toute façon La Flûte enchantée est un ouvrage hétérogène et qu’elle supporte plus facilement d’être bousculée. Beaucoup de claviers dans la fosse (pianoforte, clavecin, orgue) viennent colorer le son de façon variable, de fréquents embellissements vocaux seraient peut-être mieux à leur place chez Haendel ou Cavalli, et puis surtout d’énormes exagérations des silences créent des suspensions bizarres dans le discours, dont certaines fonctionnent et d’autres ne font que déranger... Pourtant, de surprise en surprise, se dégagent aussi de très beaux moments mozartiens, d’une finesse évidemment magnifiée par les timbres somptueux des Wiener Philharmoniker.


Distribution soigneusement calibrée, hormis l’impair d’avoir confié le rôle de Sarastro à Matthias Goerne, qui ne parvient qu’à grand peine à émettre les notes graves requises et dont même le timbre paraît éteint, totalement engorgé. Christiane Karg est une jolie Pamina, dont le volume vocal même menu passe bien, grâce à l’excellente acoustique du Grosses Festspielhaus, et qui a été de surcroît très bien assortie au jeune ténor suisse Mauro Peter, plus connu jusqu’ici dans le Lied, remarquable Tamino, tout en flexibilité et en luminosité. Albina Shagimuratova est une Reine de la Nuit qu’on ne présente plus, même si ce soir elle aura paru dans une forme moyenne (au demeurant très attentivement assistée par le chef dans les passages les plus difficiles). Et n’oublions pas Adam Plachetka, Papageno de luxe, ni surtout les trois petits Sängerknaben, qui chantent et jouent la comédie à ravir. Ces trois-là rajoutent à la soirée une âme particulière, d’une exceptionnelle fraîcheur.



Laurent Barthel

 

 

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