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Grange à musique Limoges Ambazac (La Grange aux moines) 08/03/2018 - Claude Debussy : Images (Second Cahier)
Olivier Korber : Préludes (extraits) – Yehides
Franz Liszt : Rhapsodie espagnole
Frédéric Chopin : Etudes, opus 25 Olivier Korber (piano)
«1001 Notes», c’est une saison de concerts (à Limoges, à l’exception d’une incursion à l’Athénée), un éditeur de disques s’attachant à promouvoir de jeunes musiciens (tels la flûtiste Joséphine Olech, les violoncellistes Bruno Philippe, Tristan Cornut et Hermine Horiot, la pianiste Natacha Kudritskaya, le guitariste Raphaël Mata et le Quatuor Arranoa) et, depuis 2006, un festival en Limousin. En onze dates, du 18 juillet au 9 août, la treizième édition reste marquée par un souci de diversité, tant dans les styles – le baroque, le classique et le contemporain voisinent avec le jazz et la musique traditionnelle – que dans la notoriété des artistes – Philippe Jaroussky, Emöke Baráth et Barbara Hendricks alternent avec des talents à découvrir, comme le violoniste Brieuc Vourch – et dans les concepts – les récitals et concerts de format traditionnel laissent parfois la place à des propositions plus originales, comme le «Requiem imaginaire» conçu par Jean-François Zygel et le chœur de chambre Spirito de Nicole Corti, ou bien «Le Pianiste qui m’aimait» avec la mezzo Maria Mirante et le pianiste Paul Beynet.
La Grange aux moines d’Ambazac
La Grange aux moines, située à Ambazac, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Limoges, vient cette année enrichir l’éventail des lieux de la région où se déroulent les manifestations du festival. A une lieue du bourg, dans le hameau du Coudier, cet édifice du XIIe siècle, inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, fut une dépendance de l’abbaye de Grandmont, dont elle est le seul vestige parvenu jusqu’à nous. Grâce aux efforts d’une association créée en 1977, elle a été rénovée en une salle de spectacles de 200 mètres carrés, qui organise sa propre saison musicale et ambitionne, à l’image de l’exemple donné dans le même département par la Ferme de Villefavard, d’accueillir des musiciens en résidence.
O. Korber (© Laurent Bugnet)
La Grange et le festival font cause commune pour proposer un récital d’Olivier Korber (né en 1985), déjà programmé en 2016. Rien que de très banal jusque-là, sinon que le piano n’est pas (encore?) son activité principale, à l’instar de l’économiste Gérard Bekerman ou du polytechnicien Jonathan Gilad. Mais s’il travaille dans la finance, il ne vole pas sa place parmi les «professionnels» à l’affiche du festival: c’est ce qu’illustre d’emblée la Seconde Série (1905) des Images de Debussy, dans la belle acoustique de l’ancienne grange dîmière. Au-delà de la technique permettant d’aborder sereinement un tel répertoire, il privilégie la netteté du trait, évitant d’envelopper cette musique dans les brumes prétendument impressionnistes où elle est trop souvent confinée. Dynamiques dosées avec soin, refus des épanchements, l’interprétation évite prudemment tout excès, au risque de ne dispenser qu’une poésie trop allusive.
Autre corde à l’arc de Korber, la composition: il offre à l’occasion de ce récital la première de trois de ses Préludes, faisant se succéder, dans un langage postromantique au chromatisme nullement aventureux, des humeurs contrastées – sombre, emportée, fantasque. Un peu plus développée, une pièce intitulée Yehides («Solitude») cultive une veine plus méditative, toujours traversée d’influences ou réminiscences de Debussy à Messiaen en passant par Scriabine et Ravel. Bonne idée que d’avoir choisi ensuite la Rhapsodie espagnole (1863) de Liszt, même si elle manie les sources «nationales» – en l’occurrence l’incontournable Folia et une jota aragonaise – de façon moins convaincante que les meilleures Rhapsodies hongroises, car Korber confie à cette page relativement rare au concert un engagement et un panache bienvenus.
Après un entracte qui permet de retrouver un peu de fraîcheur devant la Grange, ad libitum avec une salade ou d’une planche venues d’un pittoresque food truck, toute la seconde partie de la soirée est consacrée aux douze Etudes de l’Opus 25 (1834) de Chopin, qui sont au cœur de l’album «Double jeu», récemment enregistré par Korber pour 1001 Notes et salué dans nos colonnes. On sent que l’œuvre tient une place particulière dans son imaginaire, non seulement par l’attention portée à restituer clairement le texte, par exemple les voix secondaires, mais aussi au travers des éclairages intéressants dont il fait bénéficier certaines pages – ainsi du caractère schubertien qu’il leur confère parfois. Mais il ne fait pas pour autant son sujet de la lutte avec l’instrument et la partition, même si elle est certainement réelle, tant une telle entreprise demeure un beau défi pour tous les pianistes: subtil, raffiné, il se montre attentif à varier le toucher plutôt que de jouer les gros bras, de rouler les mécaniques et de surcharger le propos. Il faut saluer non seulement une technique qui vient à bout, malgré la chaleur, des redoutables difficultés de ce cycle, moyennant un très petit nombre d’accrocs, mais aussi une démarche, à la fois personnelle, modeste et honnête, qui ne triche pas avec la musique.
Le site du festival 1001 Notes en Limousin
Le site de la Grange aux moines
Le site d’Olivier Korber
Simon Corley
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