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Le maître puis l’élève

Verbier
Eglise & Salle des Combins
07/31/2018 -  


Eglise, 11 heures
Vladimir Ryabov : Fantaisie en do mineur «A la mémoire de Maria Yudina», opus 21
Louis Couperin : Passacaille en ut majeur
Arvo Pärt : Spiegel im Spiegel (arrangement Babayan)
Jean-Philippe Rameau : Suite en ré majeur: «L’Entretien des Muses» & «Les Sauvages» – Suite en mi mineur: «Le Rappel des oiseaux» – Suite en la mineur: Allemande, Courante & Gavotte et les six doubles
Wolfgang Amadeus Mozart : Andante en fa majeur, K 616 – Sonates pour piano n° 12, K. 300k [332], et n° 8, K. 300d [310]

Sergei Babayan (piano)


Salle des Combins, 19 heures (et 26 septembre (Hong Kong), 4 (Barcelona), 17 (Milano), 19 (Alicante), 25 (Ann Arbor), 28 (New York), 30 (San Francisco) octobre, 18 (München), 20 (Düsseldorf), 22 (Hamburg), 24 (Luzern), 26 (Wien), 28 (Frankfurt) novembre, 1er (Aix-en-Provence), 3 (Amsterdam), 5 (Dublin), 7 (London) décembre 2017, 15 janvier (Paris), 1er (Toronto), 12 (Genève) février, 3 (Gstaad), 12 (La Roque-d’Anthéron), 14 (Salzburg), 22 (København), 24 (Kiel) août 2018)
Frederic Mompou : Variations sur un thème de Chopin
Robert Schumann : Carnaval, opus 9: 12. «Chopin»
Edvard Grieg : Stimmungen opus 73: 5. Etude (Hommage à Chopin)
Samuel Barber : Nocturne (Hommage à John Field), opus 33
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Dix-huit Pièces, opus 72: 15. «Un poco di Chopin»
Serge Rachmaninov : Variations sur un thème de Chopin, opus 22
Frédéric Chopin : Variations sur «Là ci darem la mano», opus 2 – Sonate pour piano n° 2, opus 35

Daniil Trifonov (piano)


S. Babayan (© Aline Paley)


Cette journée aura permis d’entendre successivement deux pianistes exceptionnels de l’école russe, Sergei Babayan célèbre pédagogue dont la carrière de soliste commence à exploser en Europe, et son disciple Daniil Tifonov, premier prix Tchaïkovski en 2011.


On doit à Sergei Babayan, immense pianiste américain d’origine arménienne que la France découvre peu à peu (il a donné un récital à Lyon la saison dernière), un de nos plus grands souvenirs de concert quand il a joué en l’église de Verbier en 2016 le Premier Livre du Clavier bien tempéré de Bach (dont on attend fébrilement la suite...). Ce récital au programme fort bien construit n’a pas déçu.

Il est des nuisances du public envers la musique et les musiciens spécifiques aux festivals que les salles de concerts urbaines ignorent ou ne connaissent pas encore. Parmi elles, les parents qui, n’ayant pas fait garder leurs tout jeunes enfants, les emmènent au concert. Ainsi un bébé a manifesté dès les premières minutes de la pièce d’ouverture, la Fantaisie en ut mineur de Vladimir Ryabov, composée à la mémoire de la pianiste russe Maria Yudina, probablement pas d’accord avec le choix de ce compositeur russe présent dans la salle, né en 1950 et élève de Khatchatourian, il est vrai un peu abrupt à cette heure matinale. Cela n’a heureusement pas perturbé Sergei Babayan, et encore moins notre voisine qui, soit au mieux communiquait à chaud par messages textes à ses relations ses impressions sur les influences mozartiennes et schumaniennes combinées de cette pièce, ou au pire avait des problèmes domestiques à régler plus importants que d’essayer d’intégrer le choix du pianiste. Cette pièce, qui figure presque toujours au programme de ses récitals et qu’il maîtrise souverainement, possède de redoutables difficultés techniques, des passages tonitruants et assez de chausse-trappes pour en faire un redoutable morceau de concours. Elle peine à convaincre en regard de la suite du programme, qui comportait un bloc très original incluant, entre une Passacaille de Louis Couperin et plusieurs pièces de Rameau, le Spiegel im Spiegel de Pärt arrangé par Babayan, qui joue aussi fréquemment son célèbre Für Aline. Choix très pertinent tant le pointillisme de cette pièce onirique qui inspire aujourd’hui beaucoup les chorégraphes, probablement diabolique pour la mémoire (mais quand on a mémorisé Le Clavier bien tempéré...), est une incise parfaite entre les deux grands compositeurs français du clavecin classique. Babayan a porté à des sommets d’interprétation ces pièces tant pour la sonorité parfois un peu trop musclée (Passacaille, «Les Sauvages») mais toujours magique. On est loin d’un jeu cultivant le chic à la française de cette musique comme a pu le faire génialement en son temps Marcelle Meyer, mais dans une autre démarche tout autant géniale privilégiant le chant et le choix des couleurs qu’inspirent ces compositions.


La seconde partie était une pure rêverie avec deux sonates de Mozart, la Douzième, enchaînée à l’Andante en fa majeur pour un petit orgue mécanique et la Huitième, plus théâtrale, à qui Babayan donnait une dynamique exceptionnelle. Sagement assis au troisième rang, Daniil Trifonov avant d’être à son tour la star de la soirée, était venu écouter son maître, avec qui il avait joué dans la seconde partie du gala du vingt-cinquième anniversaire une mémorable Barcarolle de la Première Suite pour deux pianos de Rachmaninov.



D. Trifonov (© Nicolas Brodard)


Avouons une légère déception en réalisant que le programme paresseusement choisi par Trifonov pour son grand récital du festival était l’intégralité de la partie solo de son double disque Chopin «Evocation», conçu autour de la musique de Chopin et paru l’hiver dernier chez Deutsche Grammophon, qu’il redonnera tel quel à Gstaad dans quelques jours. La notion de festival y perd complètement son sens. Trois grands blocs de variations, quelques pièces éparses, puis la Sonate «Funèbre» font certes un concept discographique intéressant mais un rude et long programme de concert pas vraiment gratifiant ni pour l’interprète ni pour le public. Le pianiste s’est tiré magnifiquement de ce long concert de plus de deux heures, qui eut ses tunnels perceptibles dans la concentration du public et les applaudissements. Autant les Variations de Mompou sur le Prélude en la majeur qu’elles s’ingénient à déconstruire soutiennent l’intérêt, autant celles de Rachmaninov sur le grave Prélude en ut mineur sont purement pianistiques et fastidieuses. Celles de Chopin, grand mélodiste, sur la merveilleuse mélodie «Là ci darem la mano, sont un enchantement et certainement celles dans lesquelles liberté et fluidité du jeu de Daniil Trifonov ont le plus fait merveille. Mais la pièce de résistance finale qu’était la Deuxième Sonate, jouée avec un engagement sauvage, méritait d’être attendue. A t-on jamais entendu sa «Marche funèbre» jouée si lentement avec un tel contrôle dans l’égalité de son glas et avec une telle légèreté dans l’épisode central? Le Presto final était tout simplement prodigieux, fantomatique au point qu’on n’était pas certain qu’il l’eût vraiment joué! Bis généreux avec la transcription par Alfred Cortot du premier mouvement de la Sonate pour violoncelle et piano et la Fantaisie-Impromptu avec encore plus de trésors de finesse et de sonorité si cela était possible.


Au terme de cette journée on s’émerveillait d’avoir pu entendre successivement le maître puis l’élève, deux personnalités aussi différentes que possible mais ayant comme point commun la recherche de l’effacement de la perfection pianistique dans la sublimation du geste musical.



Olivier Brunel

 

 

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