About us / Contact

The Classical Music Network

Athens

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Carmen sous le Parthénon

Athens
Odéon d’Hérode Atticus
07/27/2018 -  et 28, 29*, 31 juillet 2018
Georges Bizet : Carmen
Anita Rachvelishvili*/Kate Aldrich (Carmen), Pavel Cernoch*/Dimitris Paksoglou (Don José), Dionysios Sourbis*/Dimitris Tiliakos (Escamillo), Maria Mitsopoulou*/Myrsini Margariti (Micaëla), Tassos Apostolou*/Petros Magoulas (Zuniga), Yannis Selitsaniotis/Nikos Kotenidis* (Moralès), Chrissa Maliamani*/Danae Kontora (Frasquita), Artemis Bogri (Mercédès), Harris Andrianos*/Nikos Kotenidis (Le Dancaïre), Nikos Stefanou*/Christos Kechris (Le Remendado), Ballet de l’Opéra national de Grèce
Chœurs de l’Opéra national de Grèce, Agathangelos Georgakatos (chef de chœur), Konstantina Pitsiakou (chef du chœur d’enfants), Orchestre de l’Opéra national de Grèce, Lukas Karytinos (direction musicale)
Stephen Langridge (mise en scène), George Souglides (décors et costumes), Silbersalz Film, Hagen Wagner & Thomas Bergmann (vidéo), Giuseppe di Iorio (lumières), Dan O’Neill, Fotis Nikolaou (mouvements)


P. Cernoch, A. Rachvelishvili (© Andreas Simopoulos)


Construit au IIe siècle de notre ère, en contrebas de l’Acropole d’Athènes, l’Odéon d’Hérode Atticus sert chaque été pour de nombreuses représentations du Festival d’Athènes. Opéras, ballets, théâtre...: la programmation est variée et la jauge importante du lieu, environ 5000 places, permet d’assurer à ces manifestations une certaine stabilité financière. Cet été, Nabucco puis Carmen, donnés par l’Opéra national de Grèce, représentent l’art lyrique sans prendre de risque majeur.


Pour autant tout ici n’est pas évident. Les gradins de marbre, même restaurés, restent très raides et il faut une véritable armada d’ouvreuses pour que chacun puisse y trouver sa place, assis sans dossier sur un petit coussin de cuir et dans une promiscuité dont il est préférable de se consoler en se disant qu’elle a un charme très antique. La largeur de la scène, paradoxalement modeste pour un pareil lieu, sa faible profondeur aussi, n’y autorisent pas non plus de déploiements très spectaculaires. Rien à voir avec les Arènes de Vérone ou les Thermes de Caracalla. L’acoustique en revanche, même si elle garde ses caractéristiques de plein air, est assez fine, et hormis quelques chants de cigales bavardes, les bruits environnants restent faibles. Une fois que l’orchestre s’est installé et que le public s’est tu, une vraie magie s’installe: celle d’un lieu finalement assez intime, sous la voûte étoilée, hors du temps...


Le public, sur les gradins, tourne le dos à l’Acropole. Les chanteurs en revanche lui font face, et on imagine que pour eux la perspective de se produire devant un véritable mur humain, avec au-dessus les contreforts de la colline sacrée couronnés par les frontons du Parthénon éclairés, doit être assez impressionnant. Mais rien ne semble pouvoir effrayer Anita Rachvelishvili, mezzo-soprano à la voix de bronze qu’on ne présente plus, et dont la Carmen investit le lieu avec une magnifique assurance. Même pas embarrassée par un physique relativement imposant, cette cigarière possède une aura de femme fatale quasiment mythologique, en tout cas en phase avec le gigantisme ambiant. Pour Don José, tenter de prendre un quelconque ascendant sur une personnalité aussi énorme relève de l’exploit impossible, et pourtant le ténor tchèque Pavel Cernoch y parvient parfois, en jouant à bon escient de ses propres atouts: une fiévreuse crédibilité physique, un timbre solaire mais aussi une sûreté technique qui peut triompher des embûches de «La fleur que tu m’avais jetée»... Un grand titulaire pour un rôle extrêmement ardu, dont l’incarnation ne nous semble pas notablement inférieure ici à celle, de référence, d’un Jonas Kaufmann.


En regard de ces deux phénomènes, la partie grecque de la distribution paraît plus effacée, encore que, même à nos oreilles françaises, dépourvue de toute aberration de style. La version choisie, mi-récitatifs mi-dialogues parlés un peu écourtés, n’élude aucune difficulté et pourtant tous, jusqu’au chœur d’enfants, s’expriment dans une langue très intelligible. Excellents seconds plans, dont le parfait Dancaïre de Harris Andrianos. L’Escamillo assez sonore et sans vulgarité de Dionysios Sourbis incarne bien son personnage de hâbleur. Dommage que la Micaëla de Maria Mitsopoulou paraisse un peu trop timide et bataille assez souvent pour tenter de stabiliser son émission. Très digne, son «Je dis que rien ne m’épouvante», possède cependant une certaine aura. Il est vrai que le chef Lukas Karytinos, qui dirige l’ouvrage sans partition, fait preuve de vraies compétences d’accompagnateur, y compris quand les voix ont besoin d’aide. Bel orchestre aussi, dont il est difficile d’apprécier les facultés de fusion des timbres dans une acoustique aussi sèche, mais qui paraît riche en individualités intéressantes.


Reprise d’une production déjà présentée ici en 2016, la mise en scène de Stephen Langridge se déroule dans une Espagne très modernisée, ou plus simplement dans l’actuelle Europe méditerranéenne, confrontée à ses vrais problèmes du moment: paupérisation, criminalités mafieuses, flots de réfugiés, dérives autoritaires et tendance à l’enfermement et au repli. Rien d’esthétique sur scène: beaucoup de grillages, quelques containers, une grande tache de sang coagulé au centre... Même la taverne de Lillas Pastia est sordide comme une baraque à frites de bords de route. Seul le monde de la corrida, retransmis sur des écrans de télévision, semble générer un peu de rêve. Une Carmen sans espagnolade mais aussi sans aucun ridicule, qui véhicule des messages durs. La violence du duo final, pris au piège d’un jeu de grillages qui vient enserrer les deux protagonistes comme une arène virtuelle dépourvue d’issue, incite 5000 personnes à retenir leur souffle. Rien de ludique ni de conventionnel: plus rien qu’une prégnante intensité tragique.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com