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Dépression Strasbourg Palais de la Musique 04/19/2018 - et 20 avril 2018 Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 2, opus 83
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 6 «Pathétique», opus 74 Garrick Ohlsson (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Thomas Søndergård (direction)
G. Ohlsson (© Bartek Sadowski)
Un ensemble en état de choc ? Difficile de ressentir autrement ce soir l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (OPS), encore sous le coup de la disparition tragique de sa violoncelliste soliste Véronique Fuchs. Auditivement, cela se perçoit avec autant d’acuité que la souffrance d’un corps, où la douleur perturberait même des enchaînements vitaux qui d’habitude s’effectuent sans problèmes. Et l’ironie du sort a voulu que le programme de ce concert s’achève précisément par la Symphonie «Pathétique» de Tchaïkovski ! Le chef danois Thomas Søndergård a beau avoir une conception de la partition manifestement intéressante et qu’il essaye de défendre avec une certaine élégance, l’impression de sidération reste trop prégnante, voire insupportable à force de soubresauts anarchiques. Un moment pénible pour tous, qu’il ne reste plus maintenant qu’à tenter d’oublier. Plus à distance, et dans des conditions de sérénité que l’on espère meilleures, il est prévu que le dernier concert de la saison d’abonnement, la Neuvième Symphonie qui viendra clore l’intégrale Beethoven de Marko Letonja, soit dédié à la disparue. Musicienne sensible, personnalité discrète et attachante, Véronique Fuchs a longtemps occupé un poste de violoncelle solo à l’OPS, aux côtés de son professeur Jean Deplace puis d’Alexander Somov. Elle était entrée dans l’orchestre en 1989, à l’âge de 21 ans.
En première partie, l’exercice du concerto masque plus facilement la méforme du moment. Et quel concerto, puisqu’il s’agit du Second Concerto pour piano de Brahms (au fait : laisser voisiner Brahms et Tchaïkovski dans le même programme, l’idée reste retorse, tant les deux, qui se rencontrèrent rarement mais se connaissaient, ne pouvaient s’empêcher de se considérer mutuellement avec une défiance mêlée d’incompréhension!). Ici les échanges avec le soliste demandent une vigueur et une instantanéité qui continuent à bien fonctionner même si les couleurs automnales et et boisées requises de l’orchestre manquent à l’appel. Le pupitre des cors, terriblement mal à l’aise, est quasiment aux abois à force de redouter la fausse note, ce qui se traduit par un pénible manque de musicalité de nombre de passages stratégiques, à commencer évidemment par le tout début. Mais Garrick Ohlsson, qui assume avec une impressionnante assurance ses soixante-dix ans passés et ses quatre décennies de carrière, dispose de suffisamment de répondant pour porter ce concerto à lui tout seul. Cette maîtrise du texte, cette hauteur de vue, alors même que techniquement cette longue page concertante reste l’une des plus éprouvantes du répertoire, ne sont donnés qu’aux plus grands. D’ailleurs, pour le reste de sa petite tournée européenne, le pianiste américain avait aussi dans les doigts les concertos de Busoni et Barber: assurément rien de facile ni de conventionnel non plus! Allure franche et massive, réserves de puissance colossales, mais aussi de belles libertés de phrasé, chez un artiste qui sait ne pas jouer «droit» quand cela peut apporter une intensité supérieure aux climats: on est prêt à suivre un musicien pareil dans tous les méandres de sa conception, sans aucune réserve. Climat plus recueilli dans l’Andante, où Alexander Somov fait sonner son élégiaque solo de violoncelle comme un pudique et sobre hommage.
Laurent Barthel
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