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Le Japon triomphe à Besançon Besançon Kursaal/Opéra-Théâtre 09/16/2001 - Quarante-septième concours de jeunes chefs d’orchestre
David Lively (piano)
Solistes du Centre de la voix de la Fondation Royaumont, Chœur philharmonique de Prague, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Orchestre de Besançon
Tous les deux ans, dans le cadre du Festival de musique, la capitale franc-comtoise est le rendez-vous des meilleurs espoirs de la direction d’orchestre, à l’égal du Concours international de Tokyo ou le Concours Bernstein de Jérusalem. Au fil de ses éditions, le Concours de Besançon a couronné, entre autres, Seiji Ozawa (1959), Michel Plasson (1962), Zdenek Macal (1965), Jacques Mercier (1972), Marc Soustrot (1975), Yoel Levi (1978) et Osmo Vänskä (1982).
Près de deux cents candidats de quarante et une nationalités étaient sur la ligne de départ pour les présélections organisées au printemps dans quatre villes (Besançon, Saint-Pétersbourg, New York et Pékin) et consistant à « diriger » deux pianistes interprétant à quatre mains une transcription du Concerto pour orchestre de Bartok.
Le jury, présidé par Sergiu Comissiona (première mention au concours de 1956), était composé du chef américain Lawrence Foster, du chef hongrois Peter Csaba, de Larry Livingston (doyen du Thornton college of music de Los Angeles), de George Pehlivanian (lauréat 1991), d’Alain Surrans (directeur artistique des éditions Salabert) et de David Whelton (directeur général du Philharmonia orchestra).
Les huitièmes de finale ont confronté le 16 septembre au Kursaal les vingt candidats qui ont franchi avec succès ce premier obstacle : quatre Japonais, trois Chinois, trois Russes, deux Français, un Allemand, un Américain, un Belge, un Canadien, un Coréen, un Estonien, un Indonésien et un Israélien, avec une moyenne d’âge de vingt-neuf ans (de vingt ans, pour les plus jeunes, à trente-trois ans pour les plus âgés).
Après avoir choisi deux œuvres parmi les quatre annoncées (Première symphonie de Beethoven (mouvements 1, 3 ou 4), adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler, début du Festin de l’araignée de Roussel et extrait d’Appalachian spring de Copland), ils disposaient d’un quart d’heure de répétition devant l’Orchestre de Besançon. Beaucoup sont tombés dans le redoutable piège mahlerien, choisi par la moitié des candidats. Copland et Beethoven (premier mouvement) ont également remporté un grand succès parmi les candidats.
Vasily Petrenko (vingt-quatre ans, Russie) et Ivan Meylemans (trente ans, Belgique) s’aventurent cependant respectivement dans les troisième et quatrième mouvements de Beethoven, où ils produisent d’emblée une forte impression. Antoine Marguier (trente-deux ans, France) joue admirablement de la dynamique et des contrastes. Une seule candidate, Lin Chen (vingt-trois ans, Chine), qui, bien que passant en dernier, tire fort bien son épingle du jeu, dans un premier mouvement de Beethoven très contrôlé. Erki Pehk (trente-trois ans, Estonie) impressionne dans un choix difficile (Mahler et Roussel), tandis que le benjamin, Noam Zur (vingt ans, Israël), frappe par sa maturité. Enfin, Tatsuya Shimono (trente et un ans, Japon), qui fait répéter Beethoven sans la partition, et Naotaka Tachibana (trente-deux ans, Japon), formidablement concentré, se signalent tous les deux dans un Copland très réussi.
Le jury, parmi ces vingt candidats, pouvait en sélectionner dix, mais il préfére envoyer seulement huit d’entre eux en quarts de finale le lendemain, toujours au Kursaal. Peut-être aurait-il pu faire une petite place à la précision de Wilson Hermanto (vingt-huit ans, Indonésie) et au charisme de Paul Mauffray (trente-deux ans, Etats-Unis).
Quatre partitions pour ces quarts de finale (Roméo et Juliette de Tchaïkovski, Troisième symphonie de Brahms (mouvements 1 et 3), Symphonie en ré mineur de Franck (mouvements 1 et 3) et Première Rhapsodie roumaine d’Enesco), parmi lesquelles c’est le jury qui, cette fois-ci, choisit les œuvres au fur et à mesure des candidats, qui disposent d’une demi-heure face à la Philharmonie de Strasbourg. Brahms et Enesco, imposés à tous les participants, seront privilégiés par rapport au deux autres.
Effet de la sévérité du jury ? Toujours est-il qu’aucun des huit candidats présents ne donne le sentiment de ne pas être à sa place. Cela tombe bien, car les demi-finales pouvant accueillir jusqu’à six candidats, on pense alors que seuls deux d’entre eux devront être éliminés.
Naotaka Tachibana, qui tient à la fois d’Ozawa et de Carlos Kleiber, fournit d’emblée une excellente prestation, particulièrement dans un Enesco qui respire constamment, époustouflant de souplesse. Son compatriote Tatsuya Shimono, dans un style on ne peut plus différent, confirme une très grande solidité ; s’il est assez difficile de comprendre ce qu’il demande de l’orchestre, il arrive précédé d’une réputation flatteuse, puisqu’il a remporté l’année dernière le premier prix du Concours de Tokyo. Antoine Marguier continue de dispenser à l’orchestre des remarques tout à fait pertinentes. D’une concentration qui contraste avec la puissance extraordinaire qui en émane ensuite, Lin Chen défend ses couleurs, notamment dans Brahms. Enfin, Ivan Meylemans confirme de grandes aptitudes, dans un Brahms vivant et allégé et un Tchaïkovski fort bien mené.
Sans doute moins convaincants que la veille, Erki Pehk et Noam Zur seront les deux premières victimes de cette journée. En revanche, de façon totalement incompréhensible, le jury élimine aussi Vasily Petrenko, alors que le Russe, non content d’être le favori de l’orchestre, avait donné une véritable leçon de direction d’orchestre, d’une efficacité remarquable, obtenant un Brahms d’une plénitude rare et un Enesco toujours captivant et expressif.
Cinq candidats, par conséquent, au lieu de six, pour la demi-finale, qui se tient le mardi 18 septembre, en deux épreuves de vingt-cinq minutes chacune. D’abord dans le Stabat Mater de Verdi, avec le Chœur philharmonique de Prague et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, au Kursaal. Ensuite dans un extrait du troisième acte du Songe d’une nuit d’été de Britten, avec les solistes du Centre de la voix de la Fondation Royaumont et l’Orchestre de Besançon, à l’Opéra-Théâtre.
Si l’exercice « oratorio » (Verdi) ne dégage pas franchement d’éléments nouveaux, sinon peut-être une certaine nervosité d’Antoine Marguier et de Lin Chen, le très difficile exercice « opéra » (où le chef et l’orchestre sont dans la fosse, avec les chanteurs - excellents - sur scène en rangs d’oignons) offre de grands moments de direction d’orchestre. Somme toute assez réservés jusqu’alors, Shimono et Tachibana y conjuguent à la fois sens du détail et fidélité à l’esprit de cette délicate partition de Britten.
La finale pouvait accueillir trois… finalistes. Si l’on peut comprendre l’exclusion de Lin Chen, décidément un peu raide en ce mardi, et d’Antoine Marguier, moins sûr que ses collègues dans Britten, celle d’Ivan Meylemans, par ailleurs trombone solo au Concertgebouw d’Amsterdam, est plus surprenante. Sans doute légèrement en retrait des deux Japonais dans l'épreuve d'opéra, il avait pourtant à son actif un remarquable parcours tout au long des journées précédentes.
Retour au Kursaal le vendredi 21 septembre avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, pour une finale 100 % japonaise, mais extrêmement prometteuse, tant il est difficile de concevoir deux styles de direction aussi opposés. De façon imagée, en quelque sorte, la terre et le feu pour Shimono, l’air et l’eau pour Tachibana.
Conformément à une tradition désormais bien établie, c’est au cours de ce concert final, pour lesquels les candidats disposent d’une répétition et d’une générales (non publiques), qu’est créée la partition couronnée, l’année précédente, par le Concours de composition. Le jury de ce dixième concours, tenu en 2000, était présidé par Magnus Lindberg et comprenait également Philippe Manoury et Esa-Pekka Salonen. Cela s’entend sans doute dans l’œuvre lauréate, Sadhana, composée par la Chinoise Lei Lei Tian (née en 1971), qui doit aussi beaucoup à Varèse ou à Xenakis. D’une durée de treize minutes, elle se caractérise par une alternance de forces telluriques, servies par un orchestre robuste et épais, et de fragments de discours de type incantatoire, entrecoupés d’interventions chuchotées par les musiciens. Après un sommet d’intensité, le dernier tiers consiste en une dissolution progressive de la matière, éclairée, sur la fin, par une sorte de réminiscence modale aux bois, avant que les musiciens ne concluent dans un ultime murmure.
Les deux autres pièces programmées comportent, comme à l’habitude, un extrait de concerto et une grande pièce symphonique. Cette année, le choix s’était curieusement porté, cette année, sur un absurde découpage de la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov (qui en fera d’ailleurs perdre le fil à David Lively, soliste commis d’office pour cette occasion), réduite à quinze minutes, et, sans surprise, sur Don Juan de Richard Strauss.
Le tirage au sort a désigné Shimono pour ouvrir la soirée. Très à l’aise dans la pièce de Tian, il brasse la matière d’une partition dont les aspects volcaniques semblent être destinés à son tempérament. Dans Rachmaninov, il reste sage et en retrait, même si sa gestuelle, plus discrète au cours des premières épreuves, finit par évoquer celle de Sado. Son Don Juan fait preuve d’un grand métier, d’une belle énergie. Rien n’y manque.
Tachibana parvient à en faire entendre davantage dans les moments plus apaisés de Sadhana, tout en ne perdant pas de vue la continuité de la progression. Son accompagnement de la Rhapsodie de Rachmaninov est plus tranchant, plus présent, plus vivant. Si son Don Juan trahit quelques imprécisions du côté de l’orchestre, il fait pourtant preuve de souplesse et de légèreté. Moins inéluctable que celui de Shimono, il en fait une pièce plus poétique, plus rhapsodique. Plus musicale, aussi.
Après un discours très touchant et très personnel de Sergiu Comissiona, le jury annonce sa décision et n’attribue qu’une seule distinction : ce sera Shimono, Grand Prix de direction d’orchestre, doté de 70 000 F et d’une quarantaine d’engagements. L’orchestre approuve, semble-t-il, à une courte majorité. Le Prix du Public, quant à lui, revient à Tachibana : maigre consolation de nature purement honorifique, mais acquise par plus des trois quarts des suffrages exprimés.
Deux personnalités attachantes dont il faut espérer que l’on pourra encourager prochainement l’entrée dans la carrière. Quant aux autres (Chen, Marguier, Meylemans, Petrenko, Zur), ils ont encore tous l’âge de venir tenter à nouveau leur chance à Besançon… ou ailleurs.
Simon Corley
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