Back
Iconoclaste Amsterdam De Nationale Opera 05/07/2018 - et 9, 11, 13, 16, 19*, 21, 24 mai 2018 Wolfgang Amadeus Mozart : La clemenza di Tito, K. 621 Russell Thomas (Tito Vespasiano), Ekaterina Scherbachenko (Vitellia), Janai Brugger (Servilia), Paula Murrihy (Sesto), Jeanine De Bique (Annio), Willard White (Publio)
MusicAeterna, Teodor Currentzis (direction musicale)
Peter Sellars (mise en scène), George Tsypin (décors), Robby Duiveman (costumes), James F. Ingalls (lumières), Antonio Cuenca Ruiz (dramaturgie)
(© Ruth Walz)
L’Opéra national des Pays-Bas reprend l’opera seria La Clémence de Titus dans la production très controversée de Peter Sellars et Teodor Currentzis créée l’été dernier au festival de Salzbourg.
La Clémence de Titus, créé à Prague en 1791, est loin d’être un opéra parfait. Composé en urgence par Mozart pour le couronnement de l’empereur Léopold II au trône de Bohème, il comporte beaucoup trop de récitatifs mais aussi parmi les plus beaux et difficiles airs composés par Mozart pour ses solistes. C’est sur cette supposée faiblesse que le metteur en scène américain Peter Sellars et le chef d’origine grecque Teodor Currentzis ont fondé un travail de déconstruction de la partition et du livret de Caterino Mazzolà, lui-même écrit d’après Metastasio. A la trahison de son ami Sesto après la répudiation de Bérénice pour venger Vitellia évincée par Titus, Sellars substitue rien moins que l’histoire de Nelson Mendela avec pour toile de fond l’actualité brûlante: migrants et réfugiés, le terrorisme aveugle et un attentat-suicide par Sesto promu de l’état de traître à celui de terroriste. A la supposée inauthenticité des récitatifs – ils auraient été en partie écrits par l’élève de Mozart Franz Xaver Süssmayr, le même qui acheva son Requiem – qui sont remplacés par des dialogues à la sauce Sellars, et à la prétendue faiblesse de la construction musicale, Currentzis a décidé d’opposer l’interpolation d’autres musiques du compositeur autrichien: des extraits (Benedictus et Kyrie) de sa Messe en ut mineur, l’Adagio et Fugue en ut mineur et l’Ode funèbre maçonnique pour la fin changée de happy end en tragédie, avec la mort de Titus qui, au second acte, ne quitte plus son lit d’hôpital. C’est non seulement une interprétation radicalement différente de l’œuvre mais aussi un bouleversement complet de la partition qui sont proposés au spectateur sans qu’il en soit le moins du monde prévenu.
Peter Sellars a souvent utilisé des messages de paix et d’humanité dans ses mises en scène avec un grand succès dans des ouvrages politiques comme Nixon en Chine ou La Mort de Klinghoffer de John Adams, souvent avec beaucoup de conviction comme dans l’oratorio de Haendel Teodora en 1996 au festival de Glyndebourne. Mais cela a vite tourné au système comme dans les Passions de Bach mises en scène à Berlin. Le système hélas! tourne à vide avec ses gestuelles codifiées et ses éternelles redites, et lasse. Dans le cas de La clemenza, vouloir faire entrer au chausse-pied tout un arbitraire dramaturgique dans un opéra du répertoire ne peut aboutir qu’à un résultat bancal.
A Salzbourg, comme l’ont souligné les commentateurs et comme on a pu le constater en écoutant la retransmission par la télévision autrichienne, la distribution inégale avait cependant une certaine unité que l’on a pas retrouvée à Amsterdam où, parmi les six solistes, un seul avait les moyens du rôle, l’exceptionnelle mezzo-soprano irlandaise Paula Murrihy: son air «Parto, parto», accompagné sur scène par la clarinette de basset jouée à merveille par Florian Schüle, était un grand moment de musique que n’a pas réussi à saboter le chef avec ses tempi plus qu’arbitraires et des moments de pause non inscrits dans la partition. De la distribution initiale ne restait que le Titus de Russell Thomas, ayant un fort volume mais aboyant littéralement les vocalises de l’air «Tu fosti tradito», Jeanine De Bique, honnête Annio, et Willard White, dont il est charitable de dire qu’il n’est plus qu’une très belle présence... La Vitellia d’Ekaterina Scherbachenko était presque inaudible tout comme la Servilia de Janai Brugger. Il faut dire que le dispositif scénique minimal fait de sculptures en plexiglas de George Tsypin laissait la scène quasi vide et, pour la première fois en plus de vingt ans de fréquentation de cette salle, on a cru douter de son acoustique habituellement excellente.
En dépit de beaucoup d’excentricité dans la direction flamboyante de Currentzis, on a pu admirer l’excellence de l’orchestre et du chœur MusicaAeterna, en résidence à l’Opéra de Perm (Russie). L’excentricité consiste aussi se mettre en avant d’une façon grotesque, perché au-dessus de son orchestre qu’il contrôle avec une maniaquerie inutile, et élevé au niveau de la scène, mimant tous les solistes. On a depuis une trentaine d’années dénoncé régulièrement le péril auquel certains metteurs en scène venus du théâtre (le Regietheater à l’allemande) soumettaient les œuvres lyriques, en pervertissant leur livret et leur sens profond. Faudra-t-il désormais craindre la dictature des chefs d’orchestre jusqu’alors gardiens du temple et garants de l’intégrité des partitions d’opéra?
Olivier Brunel
|