Back
Tensions musicales Vienna Konzerthaus 04/28/2018 - et 19, 20 (Rotterdam), 23 (Milano), 24 (Bologna), 26 (Paris), 27 (Düsseldorf), 29 (München) avril 2018 Joseph Haydn : Symphonie n° 49 en fa mineur, «La Passione»
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 4 en sol mineur, opus 40
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 4 en fa mineur, opus 36 Yuja Wang (piano)
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin (direction)
Y. Wang
La symphonie de Haydn qui ouvrait le programme laissait déjà entrevoir la perspective d’une fort belle soirée: la manière dont Yannick Nézet-Séguin sculpte à main nue au plus profond de la masse orchestrale est saisissante, creusant l’expression et dégageant des perspectives, donnant l’impression de véhiculer l’inspiration du moment. L’Adagio, dans lequel il suggère aux musiciens plus qu’il ne leur impose, est de ce point de vue particulièrement réussi, riche en inflexions agogiques. La tension se construit peu à peu, empruntant copieusement les respirations et techniques expressives appliquées par les ensembles historiques. Cependant cette énergie et cet élan, combinés à un effectif relativement réduit, ne suffisent pas à contrecarrer une certaine rondeur symphonique: un supplément de tranchant nous aurait semblé préférable pour mieux traduire la vision Sturm und Drang imprimée à l’œuvre.
D’ailleurs, sitôt la symphonie pliée, le timbre de l’orchestre semble soudainement s’ouvrir, gagnant en contraste et s’enrichissant en détails. La symphonie de Tchaïkovski est ainsi autrement plus volontaire: les interventions des vents sont compactes, tombant comme des couperets, et s’opposant à la motorique des cordes emmenées par un legato qui ne diminue jamais leur impact. Les timbres des différents pupitres, à défaut d’être impeccablement homogènes, apportent par leur variété une forme de circulation musicale, différenciant les voix et créant des reliefs expressifs. Nézet-Séguin ne refuse jamais une certaine théâtralité, exagérant les pauses, introduisant des variations de phrases entre les répétitions, son exceptionnelle intelligence musicale le prévenant de commettre la moindre faute de goût. Il ne transparaît dans cette lecture aucun moment de faiblesse, l’attention des musiciens étant en permanence rivée aux sollicitations du chef.
Alors que le piano vient d’être déplacé vers le centre de la scène, annonçant ainsi le début imminent du concerto de Rachmaninov, l’attente se prolonge. Yannick Nézet-Séguin s’empare finalement d’un microphone pour annoncer que la soliste est souffrante – mais qu’elle est une battante et jouera comme prévu. C’est une Yuja Wang visiblement affaiblie et tendue qui s’exécute, économisant ses forces à l’entame du concerto puis se relâchant progressivement. Elle conduit sa partie du bout des doigts, moins mobile et puissante qu’a l’habitude, mais sa virtuosité intacte et utilisant son exemplaire assise rythmique pour rendre les explosions de la partition. Il en ressort une impression mitigée de luxe sonore fiévreux d’une part, et d’un engagement interprétatif quelque peu désincarné et lointain d’autre part. L’accompagnement détaillé, chaleureux et scintillant de l’Orchestre de Rotterdam aurait été absolument parfait si Yannick Nézet-Séguin avait prêté une plus grande attention à la balance, parfois assez défavorable à la soliste.
Dimitri Finker
|