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Mineur lumineux Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/26/2018 - et 19, 20 (Rotterdam), 23 (Milano), 24 (Bologna), 27 (Düsseldorf), 28 (Wien), 29 (München) avril 2018 Joseph Haydn : Symphonie n° 49 en fa mineur, «La Passione»
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 4 en sol mineur, opus 40
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 4 en fa mineur, opus 36 Yuja Wang (piano)
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin (direction)
Y. Nézet-Séguin (© Hans van der Woerd)
On ne rate pas, aux Champs-Elysées, un concert de Yannick Nézet-Séguin et de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. Surtout quand ce concert est le dernier avec le chef québécois en tant que directeur musical. En effet, le chef québécois, qui a pris ses fonctions à Rotterdam en 2006, quittera en septembre prochain la direction de l’ensemble, qui sera alors confiée au jeune Lahav Shani.
La sombre symphonie de Haydn qui ouvrait cet intelligent programme exclusivement composé d’œuvres en mineur est donnée avec un effectif réduit (une vingtaine de cordes) et dirigée à mains nues par Nézet-Séguin. Le bel et long Adagio initial, quelque peu austère, très travaillé dans ses nuances comme dans ses lignes fait rapidement place à un Menuet plus traditionnel puis à un Presto virevoltant que le chef conduit avec brio. Une lecture contrastée et tonique, proche des interprétations proposées par Simon Rattle.
Le Quatrième Concerto pour piano de Rachmaninov est clairement un mal-aimé, les trois précédents concertos ayant, contrairement à celui-ci, régulièrement les honneurs du concert. Terminé dans une première version en 1926, il fut ensuite très largement remanié par le compositeur en 1941, notamment le final. Plus symphonie concertante que concerto au sens traditionnel et ce, malgré l’énergie qu’y met la pianiste chinoise Yuja Wang, il répond à la forme classique en trois mouvements vif/lent/vif. L’interprétation précise et fouillée de Nézet-Séguin, qui pour l’occasion a repris la baguette, ne parvient pas à éclairer l’œuvre, qui n’a pas grand-chose de russe, et qui reste somme toute assez énigmatique. Le final, qui évoque Prokofiev, est ce soir d’une impressionnante brillance. L’accueil très enthousiaste d’un public nombreux, sans doute venu pour Yuja Wang, suffit à décider cette dernière à proposer deux bis: le Nocturne opus 48 n° 2 (en fa dièse mineur) de Chopin, pour le moins évanescent, et le finale de la Septième Sonate de Prokofiev martelé plus que de raison.
Ambiance bien différente pour une Quatrième Symphonie de Tchaïkovski, elle aussi œuvre en mineur, sculptée de nouveau sans baguette par Nézet-Séguin qui parvient à lui donner incandescence et tension à chaque seconde. Dès la fanfare initiale, d’une précision horlogère, on sent que le chef va tout contrôler jusque dans les moindres détails. Et c’est bien lui qui tient tout l’édifice à bout de mains. Les quatre mouvements s’enchaînent tout naturellement, laissant, lors du deuxième, un moment de poésie et d’émotion successivement au bassoniste et au hautboïste. Le Scherzo voit Nézet-Séguin solliciter des nuances extrêmes avec succès, notamment au tout début, au point que l’on se demande si le mouvement a vraiment commencé. Le final progressivement construit se développe naturellement et impressionne par sa hauteur de vue et la rigueur de sa mise en place. Mais habitué que l’on est maintenant de la Philharmonie de Paris, force est de reconnaître que certains traits des vents et cuivres sonnent un peu aigres et que le mélange des timbres et des pupitres ne se fait aussi naturellement qu’espéré. Dommage pour un tel orchestre, qui serait mieux mis en valeur dans une acoustique plus adaptée. C’est le seul regret de ce concert magnifique qui termine en beauté l’ère Yannick Nézet-Séguin à Rotterdam.
Yannick Nézet-Séguin reviendra toutefois à Paris le 23 mars 2019 avec l’Orchestre philharmonique de Rotterdam pour la Treizième Symphonie «Babi Yar» de Chostakovitch, une œuvre qu’il dirige magnifiquement (voir ici). Car à partir de septembre prochain, il deviendra chef honoraire de l’orchestre. Une excellente nouvelle pour tous!
Gilles Lesur
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