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Echangisme musical Vienna Konzerthaus 03/21/2018 - et 22* mars 2018
21 mars
Ludwig van Beethoven : Die Geschöpfe des Prometheus, opus 43: Ouverture – Symphonie n° 4, opus 60 (*)
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour violon n° 5, K. 219 (*)
22 mars
Ludwig van Beethoven : Coriolan, opus 62 – Concerto pour piano n° 4, opus 58 (#)
Jean Sibelius : Kuolema, opus 44: 1. Valse triste (#)
Wolfgang Amadeus Mozart: Symphonie n° 36 «Linzer», K. 425 (#)
Royal Northern Sinfonia, Julian Rachlin (violon et direction [#]), Lars Vogt (piano et direction [*])
J. Rachlin (© Janine Guldener)
Voici une idée de programme inventive, comme le Konzerthaus sait en catalyser autour de ses artistes-clefs. Deux amis, instrumentistes de premier rang, qui échangent au cours de deux soirées symétriques leurs rôles de chef et de soliste au côté d’un orchestre de chambre britannique, le Royal Northern Sinfonia. L’occasion de découvrir des aspects inédits de ces personnalités et de jauger de leur impact sur l’orchestre.
Question solistes, Julian Rachlin et Lars Vogt offrent tous deux des performances de très grande classe: le violoniste a gardé la facilité d’exécution décontractée de l’enfant prodige qu’il a autrefois été, et son approche du concerto de Mozart communique une joie de vivre nourrie par une phénoménale clarté d’articulation. La Troisième Sonate «Ballade» d’Ysaÿe, donnée en second bis (après la Sarabande de la Seconde Partita de Bach), est encore plus prodigieuse, le musicien dégageant la ligne mélodique perdue au milieu des traits avec une netteté aristocratique rappelant certains grands violonistes du siècle dernier. Lars Vogt, quant à lui, s’engage dans un Quatrième Concerto de Beethoven fluide, souvent puissant et sombre, mais osant swinguer avec aplomb les syncopes du Rondo. Du magnifique piano, contrasté dans les timbres et les attaques, donnant dans un registre plus inattendu que le concerto donné par son compère, d’une veine plus profondément classique.
Question chefs, le bilan est plus contrasté: Lars Vogt ne nous convainc qu’à moitié, malgré un accompagnement très soigné du concerto du Mozart. L’ouverture et la symphonie de Beethoven souffrent d’une conception assez globale, un peu prévisible dans les relances dynamiques, et avantageant souvent la mélodie au détriment des rythmes et voix secondaires. Julian Rachlin, au contraire, impose une direction beaucoup plus engagée et efficace, entrant au cœur de la partition et prêtant une attention scrupuleuse aux détails de longueur de notes, de densité de timbres et de nuances. Il sait aussi faire parler les silences, comme dans cette transition magique de l’Andante vers le Rondo Vivace du concerto de Beethoven, le public restant (pour une fois) muet et suspendu au retour de la musique.
Le violoniste Julian Rachlin nous a confié avec quel sérieux il se consacre désormais à la direction d’orchestre: le désir est né lorsque l’Orchestre de St Martin-in-the-Fields l’a encouragé lors d’une répétition à contribuer aux idées interprétatives du groupe. «J’avais pleins d’idées, mais personne ne m’avais jamais demandé mon avis! Et j’ai remarqué qu’ils les prenaient au sérieux.» Une opération de la main gauche, menaçant sa carrière en 2007, provoque un déclic: il prend contact avec Mariss Jansons, qui lui recommande de prendre au minimum cinq années de cours avant de lui présenter ses progrès. Quant au choix du professeur, il l’encourage à rejoindre la classe d’une camarade rencontrée durant ses années d’étudiant: il s’agit de Sophie Rachlin, la maman de Julian! D’abord très hésitant, Julian Rachlin suit les conseils de son mentor et s’investit peu à peu dans cette nouvelle discipline. Il consacre désormais une grande partie de l’année à la direction d’orchestre, profitant des tournées pour glaner des conseils auprès de ses amis chefs d’orchestre (Riccardo Chailly, Lorin Maazel, Yuri Temirkanov, Zubin Mehta, Daniele Gatti, entre autres, et son père spirituel Mariss Jansons), et s’astreignant à une discipline rigoureuse pour éviter le dilettantisme qui guette tout instrumentiste entretenant des prétentions de chef. «Dans les périodes où je dirige, pas de nouveau répertoire soliste, moins de festivals et je réduis mes engagements de musique de chambre.»
Le fait est que le capital sympathie naturel de Julian Rachlin est mis à profit musicalement lorsqu’il se produit sur le podium face à l’orchestre; gageons qu’en continuant à faire mûrir ses conceptions musicales, la frontière qui sépare le violoniste surdoué et le chef prometteur deviendra de plus en plus tenue.
Dimitri Finker
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