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Les Philharmoniker de Klingsor

Baden-Baden
Festspielhaus
03/24/2018 -  et 30 mars, 2 avril 2018
Richard Wagner : Parsifal
Stephen Gould (Parsifal), Ruxandra Donose (Kundry), Franz-Josef Selig (Gurnemanz), Gerald Finley (Amfortas), Evgeny Nikitin (Klingsor), Robert Lloyd (Titurel), Neal Cooper, Guido Jentjens (Chevaliers), Iwona Sobotka, Kiandra Howarth, Elisabeth Jansson, Mari Eriksmoen, Ingeborg Gillebo, Kismara Pessatti (Filles-fleurs), Ingeborg Gillebo, Elisabeth Jansson, Neal Cooper, Icurie Ciubanu (Ecuyers), Kismara Pessatti (Voix dans la coupole)
Philharmonia Chor Wien, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)
Dieter Dorn (mise en scène), Magdalena Gut (décors), Monika Staykova (costumes), Martin Gruber (chorégraphie), Tobias Löffler (lumières)


(© Monika Rittershaus)


Si l’on évalue ce Parsifal au chronomètre, Simon Rattle se classe incontestablement parmi les chefs rapides, avec par exemple un premier acte bouclé en 1 heure 40 environ. Pour autant, et c’est même très étonnant, cette précipitation s’entend peu. L’impression suscitée est radicalement différente de nos souvenirs personnels laissés par un Boulez ou un Nagano, champions déclarés d’un Wagner invariablement turbo-propulsé. Si effectivement avec Rattle, les séquences de marche des scènes du Graal s’effectuent à une cadence très (trop ?) pressée, le reste paraît curieusement distendu, voire statique. Une dispersion difficile à analyser dans le contexte d’un Orchestre philharmonique de Berlin d’un luxe sonore inouï, mais qui laisse à terme comme un tenace sensation de manque d’agogique voire de consistance dramatique. Dans une œuvre aussi ouvertement fondée sur le récit, il faudrait vraiment que les chanteurs soient constamment soutenus dans leur narration ; or Rattle recherche plutôt ici des effets inverses : des coupures, des arrêts sur image, des moments d’intense concentration sur la beauté du son. On reste bouche bée devant ces effets de transparence, d’orchestre comme éclairé de l’intérieur (une immatérialité très « parsifalienne »), mais ces splendeurs ne suffisent pas.


Principale victime, patente : le Gurnemanz de Franz-Josef Selig. La voix est somptueuse, l’articulation sans défaut, et pourtant la fonction essentielle du rôle, qui est de raconter et d’expliquer longuement ce qui se passe, paraît comme annihilée. Faute de soutien et d’avancée plus déterminée aux moments stratégiques de la narration, tout l’art du conteur, presque la fonction d’un évangéliste dans une passion, passe à la trappe. Il ne reste que du (très beau) son. On suppose que Rattle possède une connaissance suffisante de l’allemand pour comprendre à la lettre ce que son chanteur est en train de raconter sur scène, mais à l’écouter lui couper aussi mal à propos nombre de ses effets de manche, on peut quand même avoir quelques doutes. Même problème pour Gerald Finley en Amfortas, un peu gracile et pas vraiment porté par l’orchestre. Quant à Robert Lloyd, il est heureusement assez expérimenté pour gérer ses restes de voix tout seul.


L’acte II laisse encore plus sceptique. Là surtout à cause de Ruxandra Donose, qui n’est vraiment pas une Kundry. Avec certes l’excuse d’avoir dû apprendre le rôle précipitamment suite à la défection d’autres chanteuses, dont celle de Nina Stemme pour des raison d’agenda trop chargé, mais dans les faits cela ne change rien : cette Kundry manque de tout, d’assise du timbre, d’impétuosité du mot, de raucités perverses... Une courtisane de remplacement, simple fille-fleur sortie du rang, qui ne fait absolument pas le poids, ni au sens figuré ni au sens propre, face à un Parsifal beaucoup plus grand et large qu’elle (Stephen Gould, heldentenor standard, pas vraiment passionnant mais au moins efficace). Ne reste que le Klingsor d’Evgeny Nikitin, sulfureux, émacié, à bout de souffle sur un timbre en lambeaux mais qui au moins assure une incontestable présence maléfique. Quant à Rattle, il a tant à faire pour ménager à sa Kundry une certaine projection, en éteignant complètement la puissance de l’orchestre, que ce deuxième acte se dévide sans aucun poids voire ennuie, ce qui est quand même un comble.


Reste le III, rattrapage tardif mais incontestable. Un vrai spectacle orchestral, où l’on peut enfin sereinement se laisser envoûter par les sortilèges d’un ensemble en état de grâce. Les chœurs ne déméritent pas, même si on déjà connu des formations plus homogènes et sûres, mais c’est surtout le socle instrumental qui nous vaut des moments extatiques de toute beauté. On n’en attendait à vrai dire pas moins de la phalange berlinoise, même si le bilan n’est pas aussi positif qu’on aurait pu l’espérer.


Scéniquement, la tentation du vide a largement opéré. Mais à tout miser sur la direction d’acteurs sensible et dense du vétéran Dieter Dorn, le spectacle finit par paraître insuffisant voire expéditif. Le jardin de Klingsor est bétonné à l’extrême (on dirait le projet d’un Corbusier ou d’un Renzo Piano devenus allergiques à la chlorophylle) et le plateau vide des actes impairs se contente de laisser le champ libre à une dizaine d’échafaudages de bois qui tournent sans fin sur roulettes. Pentes de contreplaqué brut plus ou moins raides d’un côté, ornées de timides évocations de la nature sous forme de graphismes japonisants, et gradins de l’autre, qui forment lors des scènes du Graal une sorte de théâtre élisabéthain semi-circulaire. Les éclairages, particulièrement peu variés, ne font jamais vivre l’ensemble, y compris même pendant un Vendredi Saint dont l’enchantement se limite à quelques dizaines de pétales de papier blanc largués depuis les cintres. Heureusement, il y a les intéressants costumes de Monika Staykova, subtils drapés d’étoffes d’inspiration médiévale dont les couleurs paraissent avoir fortement pâli avec le temps. Tous ces personnages d’apparence poussiéreuse voire plâtreuse redonnent un semblant d’allure à cette production d’un dépouillement frustrant, mais qui au moins ne dérange par aucune fantaisie farfelue.


A l’issue de cette longue après-midi de première, on sort durablement fasciné voire enivré par les sortilèges intoxicants de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Mais de là à conclure à un Parsifal vraiment accompli, il reste beaucoup de chemin à parcourir.



Laurent Barthel

 

 

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