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Génial mais discret

München
Nationaltheater
03/19/2018 -  et 20 (München), 24 (Hamburg), 28 (New York) mars 2018
Johannes Brahms : Concerto pour violon et violoncelle en la mineur, opus 102
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Manfred, opus 58

Julia Fischer (violon), Daniel Müller-Schott (violoncelle)
Bayerisches Staatsorchester, Kirill Petrenko (direction)


K. Petrenko (© Christoph Brech)


Les concerts d’abonnement de l’orchestre de l’Opéra de Munich sont de rares et précieuses occasions de pouvoir non seulement écouter mais aussi observer de visu cette phalange d’élite. En principe six programmes par an, donnés chacun deux fois, dans le cadre prestigieux d’un Nationaltheater reconverti en salle de concert pour la circonstance, dispositif dont l’acoustique a pu être assez heureusement améliorée au fil des années. Et ce soir, comme Kirill Petrenko est annoncé au pupitre, la salle est évidemment pleine à craquer, jusqu’à la dernière place debout.


En première partie, le Double Concerto de Brahms est confié à un duo d’une cohésion éprouvée. Julia Fischer et Daniel Müller-Schott, mènent chacun de leur côté une carrière très active mais se réservent une partie de leur activité pour jouer ensemble. Tout au long de ce concerto, la qualité de leur dialogue atteste de cette entente exceptionnelle. L’idéal d’un seul et improbable « violon géant à huit cordes », évoqué parfois à propos de cette partition d’équilibrage difficile, est incontestablement atteint. Dommage simplement que le magnifique Goffriller de Daniel Müller-Schott n’ait pas trop bien toléré les conditions météo du moment (il fait très humide et il neige sur Munich), avec un grave audiblement désaccordé, handicap que l’interprète, après la surprise des premières attaques, parvient heureusement à compenser. Le premier mouvement est long, voire disproportionné, et outre ces problèmes d’intonation au violoncelle il faut peut-être déplorer un certain manque d’implication de la violoniste, comme si Julia Fischer avait du mal à entrer dans une œuvre qui lui fait un peu jouer les utilités, du moins au début. Mais assez rapidement un flux correct est trouvé, ce qui n’a pas du tout évident dans cette écriture relativement décousue, où la forme concertante semble hésiter entre récitatifs déclamés et passages plus lyriques. Les qualités d’architecte de Kirill Petrenko ne demandent qu’à se déployer mais au cours des dix premières minutes ce sont surtout les solistes qui ont la parole et ce n’est qu’ensuite que l’orchestre peut prendre son envol et assurer un rôle moteur.


Mais même restreintes aux pointillés du début, les caractéristiques du Bayerisches Staatsorchester sont déjà bien présentes : la cohésion des cordes et les qualités de fondu et d’homogénéité de la petite harmonie vraiment remarquables (pour ce qui est ici de la présence française : le hautboïste Frédéric Tardy n’y est apparemment plus, mais son frère Olivier Tardy défend toujours vaillamment nos couleurs à la flûte). Quant à la façon dont Petrenko coordonne cette fabuleuse phalange, elle reste fondamentalement indescriptible. Il faut le voir et l’expérimenter de tout près pour le croire. Un concentré d’énergie nerveuse semble relier musiciens et chef comme s’ils ne faisaient plus qu’un, et quand la tension monte tout le monde suit. La coda de l’Allegro, véritable défi d’architecture brahmsien, tourne à la transe collective, charpenté par des pizzicati de cordes extraordinairement charnus.


Ensuite l’Andante requiert d'autres qualités et c’est là que l’orchestre, quand même d’opéra avant tout, retrouve immédiatement ses réflexes d’accompagnateur. Les timbres des deux solistes, déjà naturellement beaux, sont subtilement enrichis, colorés, par le soutien orchestral. A l’écoute de ces moments magiques, la salle retient son souffle et même ses toux (comme ailleurs en ce moment on tousse beaucoup, mais à Munich, au moins, entre les mouvements seulement!). Rondo final sans problèmes, dansant, « alla ungarese » comme il se doit, mais avec une grande distinction. Généreux bis : la Passacaille sur un thème de Haendel de Halvorsen, série de variations qui mettent à l’épreuve la virtuosité des deux solistes mais aussi leur entente mutuelle. Inutile de préciser que Fischer et Müller-Schott y excellent, avec l’assurance donnée par une longue fréquentation commune de l’exercice.


Dans Manfred de Tchaïkovski, quelques autres habitudes (pas très bonnes) d’orchestre lyrique perdurent aussi, puisque l’on voit une petite poignée instrumentistes s’éclipser peu discrètement pendant les deux mouvements médians, pendant lesquels certes ils ne jouent pas, mais quand même... Ce qui frappe là, c’est la transformation sonore obtenue par Petrenko, avec un « gras » des cordes voire une saturation des timbres tout à fait particuliers. Dans certains tutti du premier mouvement, l’orchestre avance vraiment comme un rouleau compresseur, mais pour autant tout reste lisible et surtout impeccablement tendu. Musique à programme saturée de sentiments et d’expressions de tous ordres, Manfred n’est pas, on le sait, un modèle de discours symphonique cohérent (assez mécontent, Tchaïkovski parlait même de supprimer tout simplement les trois derniers mouvements de ce pendant byronien de l’Harold en Italie de Berlioz, pour n’en garder que le premier, réduit à un poème symphonique de dimensions courtes), mais cela, Petrenko parvient à le faire totalement oublier. Encore que pas du tout à la façon d’un Svetlanov, par exemple, qui « purifiait » cette musique en la jouant très droite voire un peu rocailleuse. Au contraire ici la souplesse reste, voire une théâtralité très soutenue, mais sans que guimauve ou alanguissements puissent jamais gâcher les lignes mélodiques. L’exercice d’équilibriste est étonnant. Evidemment la salle reste surtout sensible, et on la comprend, aux déversements les plus passionnés, dont certains rappellent beaucoup les passages les plus échevelés de La Dame de pique. Là encore l’orchestre est parfaitement dans son élément, avec une somptuosité qui laisse l’auditeur abasourdi dans son fauteuil.





Conclusion conviviale : une réception donnée par les Amis de l’Opéra de Munich à l’occasion de l’ouverture d’un nouveau foyer, réaménagement d’un long couloir souterrain d‘accès à la salle, jusqu’ici assez froid voire lugubre. Principal élément décoratif : de somptueuses photographies grand format prises par le photographe Christoph Brech au cours d’un tournée européenne de l’orchestre en 2016. Avec pour clou une étonnante vidéo, filmage à la verticale de la partition d’orchestre de Kirill Petrenko au cours d’une exécution du troisième acte du Crépuscule des Dieux. On y voit les mains et les bras du chef passer continuellement dans le champ en ombres chinoises, en gestes tantôt enveloppants tantôt nerveux. Même sans musique le spectacle est saisissant. Discours officiels inauguraux de mise, beaucoup de musiciens de l’orchestre présents, mais Petrenko ne se montre qu’une vingtaine de secondes dans un coin avant de s’éclipser. Génial assurément, mais toujours aussi peu mondain!



Laurent Barthel

 

 

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