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Toussons de concert Strasbourg Palais de la Musique 02/08/2018 - et 9 février 2018 Olivier Messiaen : L’Ascension
Maurice Ravel : Concerto pour la main gauche et orchestre en ré majeur
Richard Strauss : Also sprach Zarathustra, opus 30 Pierre-Laurent Aimard (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)
P.-L. Aimard
C’est l’hiver, et tout Strasbourg tousse. Même au concert les bronchiteux ont pris le pouvoir et leurs salves de raclements de gorge crépitent à tous les étages du Palais de la musique. Une polyphonie qui en d’autres circonstances pourrait se prêter à quelques études intéressantes. Modèle statistique aléatoire ? Superpositions rythmiques fortuites ou au contraire provoquées par un certain consensus de l’instant ? Polymétries complexes dans lesquelles on pourrait s’amuser à essayer de dégager certaines récurrences ? En tout cas, on est quand même venu en principe écouter autre chose que cette partition-là, même subtilement spatialisée. Et osons dire aux trente indélicats, sans doute pas plus, qui se sont acharnés tout au long de la soirée à produire cette sonorisation parasite, qu’ils nous ont largement gâché notre plaisir d’écoute.
Volet suivant de ce qui prend des allures de billet d’humeur: quand on joue d’un cuivre, cor, trompette ou trombone, dans un orchestre de haut niveau, on est prié de chauffer correctement son instrument auparavant, a fortiori quand il fait froid dehors et quand le programme commence par une pièce où tous ces cuivres sont exposés en choral, sans la plus petite feuille de vigne pudique pour dissimuler d’éventuelles négligences. Pas vraiment de couacs mais une série douloureuse d’attaques douteuses et d’intervalles légèrement faux et surtout longuement soutenus sans que ces frottements puissent être corrigés. Les couleurs de vitrail recherchées par Messiaen au début de L’Ascension prennent des allures de coloriages d’enfant malhabile, qui n’a pas su respecter les limites en traits noirs de son dessin. Contingences techniques peut-être, mais le résultat paraît bien laid. Si on ne peut pas l’améliorer, mieux vaudrait peut-être jouer autre chose, ou au moins, prudemment, placer une pièce aussi risquée plus tard dans la soirée et pas à son tout début. Heureusement les trois méditations symphoniques suivantes de cette Ascension ont davantage d’allure, y compris l’ultime «Prière du Christ montant vers son Père», où les cordes strasbourgeoises nous démontrent à quel point elles ont pu gagner en cohésion et en densité sonore en l’espace de quelques années.
Comparaison intéressante aussi entre ce qu’arrive à obtenir Pierre-Laurent Aimard dans le Concerto pour la main gauche de Ravel, avec un accompagnateur de la trempe de Marko Letonja et un orchestre attentif, par rapport à une exécution antérieure de neuf ans, ici-même. Les progrès sont considérables et Aimard peut se concentrer sur une partition qu’il maîtrise à la perfection, dégagé de tout problème d’intendance parce que l’orchestre constamment l’écoute, dialogue, suit... A tous égards une exécution mémorable, aux couleurs assez sombres et riche en tensions. La performance physique du pianiste demeure certes impressionnante, encore qu’ici de toute façon ne se risquent en principe que des mains gauches de fer, susceptibles d’assumer toute l’endurance musculaire requise sans crampes du poignet. Mais surtout on admire le contrôle qui continue à s’exercer partout, sur le moindre phrasé, voire sur la plus petite inflexion dynamique d’une cadence brillamment étagée de bout en bout. Apprécions aussi la pertinence du bis : deux brèves pièces de Kurtág pour la main gauche. Des petits riens, mais qui disent tant de choses...
Les poèmes symphoniques de Strauss ont très bien réussi à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg ces dernières années, et Ainsi parlait Zarathoustra ne déroge pas à ce qui paraît être devenu une heureuse règle. Cette fois les cuivres tiennent leur rang, les cordes affichent crânement une remarquable plénitude mais aussi une vraie aptitude à jouer en petits effectifs divisés: un orchestre de grande classe en ordre de marche impeccable, ce qui fait toujours plaisir. Dès lors il n’y a plus qu’à se laisser porter par cette partition diaboliquement écrite, au point de parvenir à nous faire avaliser sans problèmes ses curieux fléchissements d’inspiration épisodiques. Un état de grâce qui ne peut se produire qu’avec un grand chef, apte à retrouver une cohérence et une allure générale par dessus beaucoup de morcellements, voire d’inclinations à la valse aguicheuse. Ici la réussite est totale, du moins jugée dans l’instant. Bravo !
Laurent Barthel
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