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Belle initiative Madrid Teatro de la Zarzuela 01/25/2018 - et 26, 27, 28, 31 janvier, 1er, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11 février Amadeo Vives: Maruxa Maite Alberola*/Susana Cordón (Maruxa), Rodrigo Esteves*/Borja Quiza (Pablo), Simón Orfila (Rufo), Svetla Krasteva*/Ekaterina Metlova (Rosa), Carlos Fidalgo*/Jorge Rodríguez Norton (Antonio), María Cabeza de Vaca (danseuse), Julia Arellano (Eulalia), Carles Pachón (Un garçon) María Pujalte (voix off), Alejandro Díez (Un joueur de cornemuse), Jesús Lavi (Un garçon)
Coro titular del Teatro de la Zarzuela, Antonio Fauró (chef de chœur), Orquesta titular del Teatro de la Zarzuela (Orquesta de la Comunidad de Madrid), José Miguel Pérez-Sierra (direction musicale)
Paco Azorín (mise en scène et décors), Anna Güell (costumes), Pedro Yagüe (lumières), Carlos Martos (mouvements de scène), Pedro Chamizo (vidéo)
(© Javier del Real)
C’est un peu partout en Europe que le régionalisme a fait des dégâts dans les arts, surtout dans le théâtre. L’esclavage du mal du pays a donné quelques artistes et quelques œuvres d’art, c’est certain, mais a très souvent a laissé pour la postérité des produits avec une tâche difficile à enlever. Si le régionalisme, voire le nationalisme non chauvin – à supposer que cela existe? – peuvent être à la base d’œuvres de sens universel, la plupart de ses inspirations sont nuisibles. Maruxa (1914), opéra d’Amadeo Vives (1871-1932), en est un exemple. De la belle musique, même si aujourd’hui on se rend compte, avec la perspective, qu’il a un peu de retard par rapport aux opéras de son temps. Mais il faut rappeler que le Catalan Vives avait une ambition, la création d’un opéra national espagnol, tout comme les Catalans Albéniz et Granados avaient réussi avec un nationalisme espagnol abouti dans le domaine de la musique pour piano.
Maruxa – régionalisme de Galice – raconte, avec une très belle musique changeante, avec de très beaux ensembles et des «airs», une histoire atone, où le conflit est à peine dessiné, où tout le monde est bon, mignon, plus idylle que conflit; et tout mène à la fin vite fait. C’était l’année 1914, au mois de mai, juste avant le rendez-vous mortel en Europe. C’est l’année de la première, dans ce même Théâtre de la Zarzuela, à Madrid, de La Vie brève de Manuel de Falla. Où la fin est encore plus rapide. Mais Maruxa a une durée normale; ce sont ses atouts musicaux qui font de la durée une bénédiction pour la pièce; c’est un cas très clair où la musique est la dramaturgie, la rédemption de l’histoire, les personnages, le conflit, même le régionalisme sont sauvés par la transfiguration musicale. Encore une fois, dans l’opéra, la dramaturgie est dans la musique, et cette fois-ci très au-dessus du niveau du livret.
Cet opéra n’a pas eu la faveur des théâtres qui produisent les plus importantes zarzuelas de Vives, surtout Dona Francisquita (1925), un chef-d’œuvre dans le genre de la zarzuela grande, c’est-à-dire, la zarzuela (une sorte d’opéra-comique) d’une durée normale, opposée à la zarzuela du género chico, plus brève, d’une durée inférieure à une heure. Au Teatro de la Zarzuela, on n’avait pas vu Maruxa depuis 1971, l’année du centenaire du compositeur. Ce n’est pas la responsabilité de l’histoire, et il y a des livrets plus bêtes que celui-ci, mais il faut prendre en compte les difficultés pour les voix, pour les cinq rôles principaux.
Mais pour raconter l’histoire aujourd’hui, il faut trouver une solution comme celle du metteur en scène et décorateur Paco Azorín. C’est un vrai risque, on peut l’accuser de trop forcer la situation, en oubliant qu’il n’y a pas de situation à l’origine. On peut l’accuser de ne rien comprendre, même s’il n’y a pas grande chose à comprendre. C’est vrai que cela se passe très souvent dans tous les théâtres du monde, mais il a trouvé une solution théâtrale motivée et riche, aidant la musique par la voie d’un apport que multiplient la dimension théâtrale, dramatique, le gestus de chaque personnage, de la communauté cachée par l’excès de régionalisme verbal sans vérité dramatique.
Il y a beaucoup d’opéras où le seigneur harcèle et force ou séduit la jeune fille du peuple: on pense à Fenella de La Muette de Portici ou à Halka de Moniuszko, pour ne parler que de titres guère connus. Cela a une dimension politique, évidemment. Mais Luis Pascual de Frutos, l’auteur du livret de Maruxa, n’a pas osé autant. Ce sont des espiègleries de fils à papa sans trop de conséquences. L’amour de la jeune bergère est troublé pendant quelque temps par les désirs croisés d’un couple de cousins oisifs. Il y a un personnage pittoresque, Rufo (baryton), qui anime beaucoup cette péripétie un peu trop fade.
Et c’est là qu’arrive la dramaturgie de Paco Azorín qui, en respectant musique et texte, ajoute une action parallèle donnant une dimension sociale et politique à la région évoquée, aux classes sociales, aux désirs trop douceâtres du cousin et de la cousine dont le livret, à l’origine, dissimule la dimension de régime seigneurial, ce qu’en Galicie on appelle «caciquisme». Ici, l’histoire est enrichie d’une dimension d’affrontement des classes par un accident attentant à l’équilibre écologique. L’action est maintenant en située 1976, une date dramatique pour la Galice, l’année du naufrage du pétrolier Urquiola devant la côte; une de ces affaires dont la mémoire collective conserve un très clair et mauvais souvenir. Azorín ajoute un chant régional et donne au chœur une dimension majeure; le chant et l’action du chœur sont la solidarité mouvementée du peuple galicien pour sauver son littoral, sa mer.
La première partie développe, avec les chants des rôles principaux, les actions et situations parallèles, sans paroles certainement, de cette espèce de cour de PDG. La seconde partie ajoute une vérité dramatique, une action théâtrale à la pauvreté scénique de l’original: le chœur transformé en plusieurs groupes s’occupant des dégâts du pétrolier; la cupidité privée contraste avec la répartition publique des dégâts. La toute simple péripétie de Maruxa et Pablo est dépassée par la dimension collective, sociale, politique d’une intrigue au-delà de chaque individu, et où l’individu a été compromis, blessé par la catastrophe du pétrolier. Azorín entoure l’histoire avec une autre parabole. Au-delà du régionalisme, il fait un chant à la Galicie et se sert de la poésie pleine d’élan de Rosalía de Castro (1837-1885) depuis le début, en introduction, pas en affirmation mais en suggestion. Et l’identification de le Galice et de Maruxa, maintenant dans un contexte, développée dans une terre et à côté d’une mer menacée, est le véritable atout de cette dramaturgie.
Le dessin de l’espace est stupéfiant. Azorín est lui-même l’auteur de ce décor pluri- ou multivalent. Et il y a un jeu enrichissant entre le décor et la formidable vidéo de Pedro Chamizo. Le mouvement de scène est agile dans la multiplication du chœur et des acteurs intervenant dans l’urgence du sauvetage de la terre et de la mer après la catastrophe; Carlos Martos réussit dans ces mouvements, tout un ballet. Les costumes d’Anna Güell accentuent, avec leurs nets blancs et noirs, le dramatisme du sauvetage. Et la danseuse María Cabeza de Vaca mérite une attention particulière, tout à fait bouleversante dans son rôle muet, avec sa danse comme brebis, déesse, présence, nerf.
L’idée de Paco Azorín est étincelante, mais ce n’est pas une de ces trouvailles si habituelles dans les têtes de metteurs en scène. Cette idée ne s’arrête pas à sa première approche. C’est une idée qui marche, qui croît, et ce n’est pas une réponse, mais une nouvelle question plus riche que l’anecdote. C’est une véritable solution théâtrale pour un opéra dont les beautés musicales manquent d’une poétique de base dans les paroles.
On l’a vu, une difficulté pour revisiter cet opéra réside dans les parties des chanteurs, notamment des deux rôles principaux. Mais on a eu de la chance avec les cinq chanteurs principaux, à commencer par Maite Alberola, soprano lyrique d’une très belle couleur et riche expressivité théâtrale, se produisant dans des rôles opératiques comme Liù ou la Comtesse des Noces de Figaro, et par l’Hispano-brésilien Rodrigo Esteves, baryton dont le lyrisme du rôle de Pablo ne cache pas ses larges possibilités déjà entendues en Jokanaan, Hollandais ou Iago. Simón Orfila fait partie des deux distributions: sa belle et puissante voix de baryton et son sens du théâtre réussissent dans sa formidable création de Rufo, ce personnage sympathique, drôle, un peu pontifiant entre le peuple et les seigneurs. Les deux cousins «malfaiteurs» sont bien servis par les interprétations du très jeune Carlos Fidalgo (mais sa jeunesse ne l’a pas empêché jouer un rôle si beau et si difficile que celui de Lenski) et de la mezzo Svetla Krasteva (remplaçant Ekaterina Metlová, souffrante). L’orchestre n’a pas sonné aussi bien que dans d’autres occasions où on a pu l’entendre, surtout comme orchestre symphonique, malgré la direction correcte et parfois remarquable de José Miguel Pérez-Sierra.
Belle initiative du directeur de La Zarzuela, Daniel Bianco, que de programmer ce titre du patrimoine lyrique un peu trop négligé dans nos mémoires.
Santiago Martín Bermúdez
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