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Auber revisité

Compiègne
Théâtre impérial
01/26/2018 -  et 11 (Albi), 25 (Saint-Dizier) mars 2018
Daniel-François-Esprit Auber : La Sirène
Jeanne Crousaud*/Pauline Texier (Zerlina), Dorothée Lorthiois (Mathéa), Xavier Flabat (Francesco), Jean-Noël Teyssier (Scipion), Jean-Fernand Setti (Le Duc de Popoli), Jacques Calatayud (Nicolaio Bolbaya)
Chœur Les Métaboles, Léo Warynski (chef de chœur), Orchestre des Frivolités parisiennes, David Reiland (direction musicale)
Justine Heynemann (mise en scène), Pascal Neyron (assistant à la mise en scène), Thibaut Fack (scénographie), Madeleine Lhopitalier (costumes), Aleth Depeyre (lumières), (mouvements)


(© Vincent Pontet)


Les plus anciens se souviennent encore avec émotion de l’«aventure de Compiègne» entamée dans les années 1990 par Pierre Jourdan pour faire revivre le Théâtre impérial de Compiègne. Construit à l’initiative de Napoléon III peu de temps avant la fin de son règne en 1870, l’ouvrage d’une capacité d’un peu plus de 800 places resta en partie inachevé au niveau de sa décoration (le plafond de la salle principalement) et ne fut jamais ouvert au public avant son inauguration tardive en 1991. Situé à deux pas du Palais impérial, qu’on ne manquera pas à l’occasion d’une visite à Compiègne, le théâtre constitue aujourd’hui un écrin idéal du fait de sa conception qui privilégie le bois, essentiel pour l’acoustique. L’atrium porte tout naturellement le nom de son ancien directeur Pierre Jourdan, figure indissociable de cette belle maison jusqu’à sa mort en 2007, qui fit revivre avec bonheur de larges pans délaissés du répertoire français, de Grétry, Monsigny à Méhul, sans parler d’Auber, Thomas, Saint-Saëns ou Sauguet. De nombreux disques et DVD témoignent de cette époque glorieuse que son successeur Eric Rouchaud poursuit désormais avec un répertoire dédié aux années 1830-1930, tout en élargissant la mission de ce centre de production lyrique à l’accueil de nombreux artistes en résidence: le compositeur Jules Matton, la soprano Jeanne Crousaud, le quatuor Debussy, le metteur en scène David Gauchard, le trio vocal Ayònis, l’Orchestre des Frivolités parisiennes et l’ensemble vocal Aedes.


Accompagnée par Les Frivolités parisiennes dans la fosse, on retrouve Jeanne Crousaud dans l’un des rôles principaux de La Sirène de Auber – une véritable rareté, sans doute jamais remontée au xxème siècle alors que cet ouvrage de la maturité, composé en 1844, est postérieur à tous ses grands succès, notamment les ouvrages précédemment entendus à Compiègne: Fra Diavolo (1830), Gustave III ou Le Bal masqué (1833) ou Le Domino noir (1837). C’est donc là un événement quand on sait que la plupart des quarante-sept ouvrages lyriques du compositeur français le plus illustre de son temps restent en majeure partie ignorés de nos jours, du fait d’une musique jugée facile et conservatrice – son contemporain Rossini ayant eu la chance, quant à lui, de voir la plupart de ses ouvrages remontés un peu partout dans le monde dès la seconde moitié du XXe siècle. C’est d’autant plus regrettable qu’Auber fait ici valoir ses dons mélodiques irrésistibles, tout autant que des détails d’orchestration savoureux (l’Ouverture fait ainsi appel aux oppositions frémissantes entre pupitres de cordes pour figurer l’élément marin) pour cet ouvrage qui eut l’honneur, comme les précédents, d’une création à l’Opéra-Comique. Proche de Rossini, sa musique est cependant moins virtuose au niveau vocal, même si l’on note des passages périlleux pour les principaux interprètes, tandis que le livret alambiqué d’Eugène Scribe ne fait pas partie de ses meilleurs. Il tente ici d’embarquer les protagonistes dans une sorte de roman d’aventures proche de Walter Scott, où les rebondissements nombreux n’évitent pas le sensationnalisme. On regrette aussi la présence très importante des passages parlés, surtout en première partie d’opéra, qui alourdissent le propos: ces passages seront, semble-t-il, ôtés de l’enregistrement discographique en préparation chez Naxos avec l’ensemble des interprètes ici réunis.


Le genre de l’opéra comique impose aux interprètes, on le sait, le difficile défi de maîtriser aussi bien l’art de la déclamation théâtrale que celui du chant. Les jeunes interprètes de cette production ne surmontent malheureusement qu’en partie cette difficulté, du fait de qualités assez inégales au niveau individuel. Ainsi de Jeanne Crousaud (Zerlina), aux vocalises aisées et à l’émission d’une fluidité délicieuse, mais au chant bien terne, d’une pâleur de composition irritante: on a là une soprano d’une technique des plus sûres au niveau vocal, mais qui frustre dans la plupart de ses interventions à force de retenue et de prudence, tout particulièrement dans son air de duperie («Je n’ose pas»), censé provoquer l’hilarité, en dernière partie d’ouvrage. C’est tout l’inverse avec Xavier Flabat, qui interprète le brigand Marco Tampesta, rôle le plus lourd de la partition, avec une énergie et un tempérament éloquents – même si ses nombreuses difficultés vocales liées à une tessiture insuffisamment étendue n’épargnent pas les oreilles, particulièrement dans les accélérations ou les aigus. Grande satisfaction en revanche pour le Duc de Popoli de Jean-Fernand Setti, qui joue à la fois de son impact physique et de son timbre idéalement projeté, alliant admirablement prestance et naïveté. La mise en scène de Justine Heynemann a la bonne idée de lui ajouter un personnage muet comique, sorte de «mini me» tout droit sorti du film Austin Powers (1997) qui lui ressemble en tout, sauf par la taille et l’épaisseur. On mentionnera encore la formidable Dorothée Lorthiois (Mathéa) que l’on aurait aimé entendre dans un rôle plus conséquent, tant son jeu dramatique comme son aisance vocale séduisent d’emblée.


Face à ce plateau vocal inégal, on se réjouit heureusement des nombreuses interventions du chœur Les Métaboles, dont la cohésion impressionne dans la prononciation et l’engagement. Il est vrai que la direction de David Reiland, à la tête de l’excellent ensemble Les Frivolités parisiennes, porte tout son petit monde avec un élan sans pareil, même si le tout début de la soirée avait pu sembler hésitant avec une Ouverture entamée à un tempo très retenu. Le chef belge confirme, à force d’attention aux détails sans négliger le rythme et la conduite du discours d’ensemble, tout le bien déjà entendu dans les quelques disques enregistrés par le passé (voir notamment celui consacré à Benjamin Godard chez CPO). Dommage que la mise en scène de Justine Heynemann souffre par trop d’un manque d’idées (hormis le double de Popoli susmentionné), et ce malgré la scénographie astucieuse de Thibaut Fack qui séduit par ses possibilités d’interaction entre les personnages.


On retrouvera Auber dans la production très attendu du Domino noir à Liège (du 23 février au 3 mars), puis à l’Opéra-Comique (du 26 mars au 5 avril), tandis que David Reiland et Les Frivolités parisiennes feront leur retour à Compiègne peu avant dans le ballet La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, les 21 et 22 février.


Le site du Théâtre impérial de Compiègne
Le site des Frivolités parisiennes



Florent Coudeyrat

 

 

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