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Hypnose ou décoratif de luxe ?

Paris
Palais Garnier
01/23/2018 -  et 25*, 27 janvier, 1er, 4, 7 février 2018
Kaija Saariaho : Only the Sound Remains
Philippe Jaroussky (Spirit, Angel), Davone Tines (Priest, Fisherman), Nora Kimball-Mentzos (danseuse)
Theatre of Voices: Else Torp (soprano), Iris Oja (alto), Paul Bentley-Angell (ténor), Jakob Bloch (baryton-basse); Eija Kankaanranta (kantele), Camilla Hoitenga (flûte), Heikki Parviainen (percussion), Quatuor Meta4: Antti Tikkanen, Minna Pensola (violon), Atte Kilpeläinen (alto), Tomas Djupsjöbacka (violoncelle), Ernest Martínez Izquierdo (direction musicale)
Peter Sellars (mise en scène), Julie Mehretu (décors), James F. Ingalls (lumières), Christophe Lebreton (son)


D. Tines, P. Jaroussky, N. Kimball-Mentzos
(© Elisa Haberer/Opéra national de Paris)



Bien que la partition d’Only the Sound Remains «...rappelle aussi par son ambivalence la musique de cour médiévale, et notamment les chansons de troubadours...», Kaija Saariaho n’entend pas renouer avec les vapeurs debussystes de son premier opéra L’Amour de loin (2000, livret d’Amin Malouf), centré sur les amours contrariées de Jaufré Rudel. Place à présent au théâtre nô revu et corrigé par Ezra Pound – d’après les travaux d’Ernest Fenellosa – et à un effectif chambriste inédit puisque, dans la fosse, officient un quatuor à cordes, un quatuor vocal, des percussions, une flûte et un kantele, instrument traditionnel finlandais à cordes pincées qui n’est pas sans évoquer le biwa cher au TōruTakemitsu de November Steps.


Le diptyque réunit deux pièces de Zeami: Tsunemasa conte l’apparition du spectre éponyme, «tourmenté par des visions du combat où il est tombé», au prêtre Gyokei venu célébrer sa mémoire. Dans Hagoromo, l’esprit lunaire veille sur une robe de plumes dont un pêcheur voudrait s’emparer, la fable opposant «la pesanteur» du second à «la grâce» du premier (suggérée par une danseuse) – pour reprendre l’antagonisme cher à Simone Weil.


Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, Philippe Jaroussky bénéficie d’une partition sur mesure: la voix (sonorisée), enveloppée des tulles argentés de l’électronique, des transitoires spectrales et autres diaprures scintillantes dispensées par l’instrumentarium, s’accommode sans coup férir des volumes homogènes du Palais Garnier. L’on sait cependant gré à Kaija Saariaho, à tout le moins dans la première partie, d’avoir conjuré l’aspect trop évanescent propre au contre-ténor en sollicitant les tessitures grave et medium, enlacées à plaisir à celles, capiteuses, du baryton-basse de Davone Tines, bonze séduisant en diable. On songe à quelque duetto da camera baroques. Il n’est pas jusqu’à l’accompagnement riche en cordes pincées qui n’évoque la basse continue. Nos deux artistes s’acquittent de leur partie avec une maestria qui porte l’émotion, même s’ils semblent parfois encombrés plus que portés par la direction d’acteur de Peter Sellars qui nous recycle sans barguigner son art du mime qu’on a pu apprécier ailleurs chez une Dawn Upshaw. Il n’empêche que «la confusion des sentiments» à l’œuvre dans Tsunemasa – ce baiser consenti entre l’homme et l’esprit – est habilement ménagée, les jeux de lumières distillés avec art. La direction d’Ernest Martínez Izquierdo veille à équilibrer les différents pupitres. Une mise en place au cordeau, où brille un Théâtre des voix fascinant d’imbrications timbriques.


Kaija Saariaho a-t-elle réussi son pari? Cela varie selon les attentes: l’on peut, d’un certain côté, considérer que cette musique sans pulsation, dont les textures opiacées plongent l’auditeur dans un liquide amniotique, s’appareille parfaitement au théâtre nô supposant «une sorte d’attention flottante sensible aux atmosphères plus qu’à l’action dramatique et aux personnages» (Céline Hervet, dans le programme). D’un autre côté, rien n’est plus anti-opératique que ce perpétuel continuum musical invertébré d’où le décoratif ne tarde pas à percer. Si les sortilèges wagnériens hypnotisent quand les réussites minimalistes de Philip Glass mettent en transe, l’art de Saariaho, joint à la mise à distance qu’implique le théâtre nô et l’épure de la scénographie, ne parvient pas toujours à renouveler l’attention en dépit de la durée ramassée des deux volets (cinquante minutes chacun).


Les fans de Philippe Jaroussky, quant à eux, ne manqueront sous aucun prétexte ce spectacle amené à gagner en cohésion à la faveur des tournées consécutives aux coproductions (Toronto, Madrid, Helsinki). Le DVD issu de la création amstellodamoise vient tout juste de sortir chez Erato.



Jérémie Bigorie

 

 

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