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Deux générations en dialogue

Baden-Baden
Festspielhaus
01/14/2018 -  & 17 (Paris), 20 (München), 23 (Essen), 26 (Wien) janvier 2018
Wolfgang Amadeus Mozart : Quatuor avec piano n° 1 en sol mineur, K. 478
Gabriel Fauré : Quatuor avec piano n° 1 en ut mineur, opus 15
Antonín Dvorák : Quintette avec piano n° 2 en la majeur, opus 81

Evgeny Kissin (piano), Quatuor Emerson: Eugene Drucker, Philip Setzer (violon), Lawrence Dutton (alto), Paul Watkins (violoncelle)


(© Andrea Kremper)


Avec ses plus de quarante ans d’âge, le Quatuor Emerson fait figure aujourd’hui d’institution vénérable. Pour fêter les quatre décennies de cette formation d’élite, Universal publiait en 2016 sa conséquente discographie en un volumineux pavé de 52 disques : un véritable héritage. Comme autre particularité, mentionnons l’habitude des deux violonistes, Eugene Drucker et Philip Setzer, d’alterner au poste de leader, nivellement hiérarchique inusité, qui rend ce quatuor en quelque sorte bicéphale. Quant à Ralph Waldo Emerson, qui a donné son nom à la formation, il s’agit d’un poète et essayiste bostonien du 19e siècle, qui partage avec les Emerson des racines très East Coast.


Que reste-t-il aujourd’hui de cette prestigieuse histoire ? La formation semble avoir clairement son glorieux passé derrière elle. Les trois membres les plus anciens ont grisonné sous le harnais, et les glorieuses sonorités d’hier (une des marques de fabrique les plus notables de cette phalange à cet égard très américaine) se sont émaciées voire ont discrètement perdu en justesse (une notion toujours critique dans un quatuor, et ce soir à plus d’une reprise, on est gêné par un relatif manque de propreté des accords). Subsistent en revanche des réflexes à toute épreuve, patente expérience de chambristes qui ont appris à se connaître comme leur poche au cours d’innombrables journées et soirées passées ensemble. On peut aussi noter l’évidente valeur ajoutée qu’apporte aujourd’hui Paul Watkins, violoncelliste britannique qui a pris le relais de David Finckel en 2013. Plus jeune de presque une génération et d’un dynamisme tout en rondeurs, c’est lui qui semble exercer maintenant la plus grande influence.


Rupture de génération identique avec Evgeny Kissin, ex-enfant prodige parvenu aujourd’hui à un âge où les pianistes sont présumés avoir acquis une vraie maturité. Kissin continue cependant, et surtout dans un tel contexte, de faire figure de benjamin, artiste d’un irréprochable potentiel mais aussi - les mots peuvent paraître durs mais on n’en trouve pas d’autres - relativement timide et appliqué. Le Quatuor avec piano K. 478 qui ouvre le concert nous laissait espérer une interprétation noblement classique, nourrie d’une tradition russe à la Richter ou Gilels. Eh bien non. Il faut se contenter d’une lecture cursive où tout est en place mais rien ne dépasse. Les nuances sont bien contrôlées, pour surtout ne pas écraser les partenaires par trop de présence sonore, mais le charme mozartien reste absent. On s’interroge sur les raisons de ce discours très lisse, qui reste en surface. On observe aussi que les partitions de Kissin paraissent étonnamment neuves, le dos pas encore cassé par des années de bons et loyaux services. Au point d'ailleurs de se refermer inopinément à tout instant, ce qui donne des sueurs froides au tourneur de pages. On serait curieux de savoir s’il y a une seule annotation ou doigté écrits dessus, ou si le pianiste se contente de les parcourir à vue, avec des capacités d’intégration certes phénoménales mais peut-être pas suffisantes pour communiquer la moindre sensation d’urgence ou d’implication. Cela dit jouer un programme aussi long (trois conséquents massifs chambristes avec piano, et de surcroît le mouvement lent du Quintette avec piano de Brahms en bis) reste une performance exceptionnelle, et surtout sans taper une note à côté ni laisser transparaître le plus petit moment de flottement. Mais est-ce bien suffisant ?


Pas dans Mozart en tout cas, et pas tout à fait dans Fauré non plus. On se félicite certes de la présence de notre compositeur français dans un programme de musique de chambre international, où il occupe une place d’habitude plutôt dévolue à Brahms, Beethoven ou Schumann, mais on ne peut malheureusement que souligner le caractère aspécifique de la chose. Une interprétation où les quatre musiciens fonctionnent en lignes virtuoses séparées, avec tantôt des rencontres (un bel Adagio) et puis des moments bien moins incarnés, où la musique semble s’écouler pour elle-même, avec des accents qui manquent de vigueur et de contrastes. Fauré (rappelons que son Premier Quatuor est une œuvre de jeunesse, encore empreinte de l’influence d’un Schumann voire d’un Mendelssohn) sonne ici de façon avenante, mais il lui manque un rien d’abandon et de fantaisie, un plaisir plus évident à se promener dans des modulations rares. Ici tout file droit, même dans les moments d’hédonisme plus rêveur, ce qui est à la fois un vraie qualité et un gros défaut. Mais sans doute faut-il être français pour comprendre le sens diffus de cette objection.


Seconde partie sans histoire, avec un Second Quintette de Dvorák impeccable, qui semble mieux convenir à tous, pianiste inclus. Une belle interprétation, qui donne toutes ses chances à cette partition pourtant assez particulière, avec ses singularités d’écriture parfois proches de la musique de salon (très curieuse introduction, exposé du thème avec les seuls violoncelle et piano). Tous les paradoxes de Dvorák sont là : à la fois un immense musicien et en même temps un compositeur empreint d’une certaine facilité, ce qu’il ne fait rien pour cacher (son génial collègue Brahms l’adorait aussi pour ce charme-là, et le faisait largement savoir). A l’issue de ce concert pantagruélique on sort repu, ce qui est déjà un bon motif de satisfaction.



Laurent Barthel

 

 

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