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Chaplin et Charlot

Strasbourg
Opéra national du Rhin
01/11/2018 -  et 12, 13, 14, 15 janvier (Strasbourg), 2, 3, 4 février (Mulhouse) 2018
Chaplin
Mario Schröder (chorégraphie), Charlie Chaplin, John Adams, Ruggero Leoncavallo, Alfred Schnittke, Kurt Schwertsik, Pēteris Vasks, Colin Matthews, Johannes Brahms, Hans Werner Henze, Charles Ives, Richard Wagner, Benjamin Britten et Samuel Barber (musique)
Marin Delavaud (Chaplin), Céline Nunigé (Charlot), Wendy Tadrous (La Mère), Jean-Philippe Rivière (Le Père), Ana-Karina Enrique Gonzalez (Mildred Harris), Monica Barbotte (Paulette Goadard), Dongting Xing (Oona O’Neill), Thomas Hinterberger (Le Dictateur), Ballet de l’Opéra National du Rhin
Mario Schröder (chorégraphie et lumières), Isis Calil de Albuquerque & Roman Slomski (mise en répétition), Paul Zoller (décors et costumes)


(© Agathe Poupeney)


L’année de sa prise de fonction en tant que directeur du Ballet de Leipzig, poste longtemps occupé par Uwe Scholz, le chorégraphe Mario Schröder a symboliquement créé Chaplin, grand ballet construit autour d’un mythe cinématographique qui lui tient particulièrement à cœur. Dans le parcours artistique de Schröder, Chaplin tient autant de place que la fascination qu'éprouve John Neumeier pour Nijinsky, ce qui n’est pas peu dire. En a découlé un grand ballet particulièrement riche, dont la démarche référencée rappelle effectivement par beaucoup d’aspects le Nijinsky de Neumeier : un théâtre dansé à caractère biographique certes, mais où onirisme et fantaisie poétique, voire un drame parfois très noir ont aussi leur place. Une création remarquablement achevée et même, déjà, l’œuvre d’une vie, largement saluée en tant que telle lors de sa création en 2010, voire de ses reprises par plusieurs autres compagnies depuis.


Chaplin, lui, n’était pas danseur, encore que ! Le personnage de Charlot fonctionne tant par le mime, le non-dit, la subtilité des attitudes et des démarches, qu’effectivement il ne peut que fasciner un chorégraphe. Schröder travaille sur cet art avec beaucoup de sensibilité, depuis même ce chapeau melon et cette canne devenus hautement symboliques, avant de nous faire parcourir les grands films de Chaplin que l’on retrouve ici en multiples petites touches artistement mélangées. Mais il y a aussi une trame biographique relativement claire, depuis une enfance socialement peu favorisée jusqu’à la violente chasse aux sorcières américaine qui bannira finalement l’acteur de son pays d’adoption. Et puis surtout cette idée de génie de dédoubler le rôle principal entre un danseur, incarnant Chaplin, et une danseuse qui doit, elle, endosser le costume du vagabond en assumant sa sensibilité si particulière. En résulte une longue série de duos de toute beauté, entre l’acteur et le personnage de fiction auquel il a fini par s’identifier, confrontation qui revisite d’une façon extrêmement originale tout le langage chorégraphique du pas de deux.


La soirée est construite ouvertement sur la découpe d’un film : une heure et demie, ce qui accentue sa difficulté pour un corps de ballet continuellement sollicité, et surtout pour les deux solistes principaux, qui sortent rarement de scène. Le début, un peu encombré voire confus, pose quelques problèmes d’acclimatation, mais ensuite, et surtout à partir d’une onirique évocation de Hollywood, sur des musiques de film signées par Chaplin lui-même, les moments d’inspiration s’enchaînent à un tel rythme que l’impact devient irrésistible. En matière de choix musicaux Schröder multiplie les intuitions brillantes, sans doute au prix d’un long travail de recherche. Le Chairman Dances de John Adams constituent un support rêvé pour le délire motorique du tableau des Temps modernes, mais la « naissance » du personnage de Charlot, émergeant de l’imagination de son créateur sur la Fourth Sonata de Colin Matthews, ou encore le quasi-lynchage politique de Chaplin sur la tempête de Peter Grimes fonctionnent superbement. Le Prélude de Lohengrin s’imposait sans surprise pour une scène de rêve du Dictateur revisitée avec beaucoup d’humour mais on garde pour la bonne bouche une désopilante amplification de la célébrissime scène de rasage issue du même film, sur la Cinquième Danse hongroise de Brahms. Finale émouvant, avec l’Adagio pour cordes de Barber. On y prend congé, sur un rythme devenu subitement étale, avec un personnage psychologiquement anéanti, tout flétri et cabossé. A ce moment stratégique l’absence d’un véritable orchestre, doté d’une vraie densité du jeu de cordes, crée une pénible sensation d’insuffisance. Mais la variété des effectifs requis par autant de partitions différentes collées bout à bout aurait nécessité un appareil orchestral bien plus volumineux que ce que la jauge seulement moyenne du théâtre de Strasbourg est en mesure de contenir. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg et Marko Letonja, initialement pressentis, ont dû de ce fait renoncer au projet, ce qui indéniablement le prive d’une dimension importante. A défaut la bande son, bien réglée en volume, permet au moins au spectacle de prendre décemment forme sur le plan musical.


En cette soirée de première le Ballet du Rhin ne paraît pas encore avoir tout à fait bien pris ses marques, ni dans l’espace ni même musicalement, sur des partitions parfois, il est vrai, très difficiles à danser faute d’assises rythmiques stables (la Deuxième Symphonie de Henze par exemple). Certains défauts de synchronisation restent gênants, même si l’impact des scènes les plus fournies en effectif est déjà remarquable. En revanche le duo des protagonistes est excellent : Céline Nunigé très sensible et subtilement contrôlée en Charlot, et Marin Delavaud en Chaplin, idéalement jeune pour les premiers tableaux mais dont la fine sensibilité lui permet de rester crédible dans les scènes de maturité. Belle série d’apparitions féminines plus fugaces aussi, évocation de personnalités qui ont toutes exercé une influence notable à un moment donné dans la vie de Chaplin, personnage fascinant dont même ceux qui aujourd’hui sont moins familiarisés avec ce monument cinématographique historique auront pu ce soir mesurer l’énorme importance.



Laurent Barthel

 

 

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