Back
Baden-Baden Festspielhaus 11/11/2017 - Georg Friedrich Haendel : Airs extraits de Radamisto, Ezio, Flavio, Imeneo, Giustino et Serse – Concerti grossi, opus 6 (extraits) – Solomon: Entrée de la Reine de Saba Philippe Jaroussky (contre-ténor)
Ensemble Artaserse
(© Michael Gregonowits)
Festspielhaus de Baden-Baden très largement rempli pour ce récital de Philippe Jaroussky. Manifestement le nom de notre compatriote contre-ténor compte aussi beaucoup en Allemagne, notoriété dans doute renforcée depuis son apparition haut perchée au cours de l’inauguration de l’Elbphilharmonie de Hambourg au début de cette année. Ce moment d’apesanteur – une aria d’Emilio de Cavalieri chantée du haut de l’un des balcons – paraît resté là-bas dans toutes les mémoires.
Aujourd’hui l’heure est plutôt à la large promotion du nouvel album Handel signé par Philippe Jaroussky et son Ensemble Artaserse, qui paraît en ce moment sous étiquette Erato. La sélection d’arias est la même, assez particulière dans la mesure où elle évite ostensiblement tout titre connu, préférant mettre en valeur quelques perles plus négligées. Concert oblige, il faut aussi que la voix se repose régulièrement, intermèdes que l’Ensemble Artaserse se charge de remplir avec des morceaux empruntés pour la plupart à des Concerti grossi de l’Opus 6, pièces en correspondance souvent heureuse avec les arias qui précédent ou suivent (par exemple le judicieux enchaînement du Larghetto affetuoso de l’Opus 6 N° 4 avec l’aria «Ombra cara» de Radamisto...). Se constituent ainsi deux moitiés de concert agréablement homogènes, pour lesquelles il y a juste lieu d’éviter des coupures par applaudissements toutes les 5 minutes, sérénité obtenue par des stratagèmes efficaces : les morceaux sont quasi enchaînés, et Jaroussky ne quitte jamais le plateau, se contenant de s’éclipser discrètement quand il ne chante pas, en allant s’asseoir sur un siège en retrait, derrière la caisse du clavecin.
Après l’Ouverture de Radamisto, Jaroussky impose tout de suite un ton très intime dans l’air d’Ezio «Pensa a serbarmi, o cara». La voix se révèle d’emblée caressante, enjôleuse même, avec des cara d’une intimité très enveloppante. Cela dit les contraintes d’une salle aussi grande que le Festspielhaus ne peuvent être négligées, et la nécessité de projeter suffisamment nuit à certains effets de coloration que Jaroussky a bien davantage pu explorer au disque. Aspects plus martiaux ensuite, avec un air de Flavio, d’allure effervescente à l’orchestre, mais qui favorise toujours ces longues et superbes notes tenues à la voix où Jaroussky excelle. Cette alternance entre rêverie et bravoure va-t-elle se perpétuer sans relâche jusqu’à la fin ? On commence à le redouter avec l’air de Siroe «Son stanco... Reggio morire, o stelle !», où retenue expressive voire une certaine prudence donnent à cette aria relativement longue des allures de passage à vide.
Heureusement, il se produit ensuite un véritable effet de «décollage», qui ne s’essoufflera plus. L’aria «Se potessero i sospir’miei», extraite d’Imeneo, est l’un de ces miraculeux joyaux baroques de méditation élégiaque où Jaroussky n’a vraiment aucun rival en ce moment (de même que pour le merveilleux «Ombra cara» de Radamisto placé en position symétrique en seconde partie). L’expressivité même des vocalises, le jeu sur des frémissements impalpables du timbre (indicible suavité de la fin de phrase «tutti i sospiri del mio cor» dans Imeneo), tout cela se laisse découvrir comme les réminiscences d’un fascinant monde révolu, des fastes d’une incroyable richesse. La plupart de ces airs ont été composés pour le castrat Senesino, artiste réputé particulièrement musicien et sensible, dont Jaroussky parvient sans doute mieux que beaucoup d’autres de ses collègues à évoquer la personnalité particulière (mais malheureusement pas tous les aspects virtuoses : ici le premier air de Radamisto pousse vraiment la voix à ses limites). En seconde partie, «Che mi chiama alla gloria... Se parla nel mio cor», extrait de Giustino, laisse encore plus dubitatif, incertain dans la vocalisation, avec une projection insuffisante pour les moments où la voix doit vraiment sonner en fanfare. Symptomatiquement, c’était là le domaine d’un autre castrat, Domenico Annibali, doté de facilités beaucoup plus extérieures. Dans ce type d’air, c’est bien davantage aujourd’hui la virtuosité étourdissante d’un Franco Fagioli qui pourrait convenir.
Trois arias en bis, un moment méditatif de Radamisto encore, puis l’air d’Arsamene de Serse, où Jaroussky peut pousser plus loin que d’habitude une certaine charge comique, explicitée auparavant par une courte adresse au public, dans un allemand exotique mais méritoire : «Il pense que sa fiancée le trompe, il est furieux et il chante "Je la veux et je l’aurai"». Finalement l’artiste, très chaleureusement ovationné, prend congé avec un quasi indispensable «Ombra mai fu» de Serse, superbement habité mais aussi très finement ornementé.
Laurent Barthel
|