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Lucas Debargue, pianiste singulier

Paris
Philharmonie
11/27/2017 -  
Franz Schubert : Sonates pour piano n° 15, D. 664 et n° 16, D. 784
Karol Szymanowski : Sonate pour piano n° 2, opus 21

Lucas Debargue (piano)


L. Debargue (© Felix Broede/Sony Classical)


Un Quatrième Prix a suffi à Lucas Debargue pour s’imposer après le Concours Tchaïkovski de 2015. Il est vrai qu’il y avait été le lauréat du Prix de l’Association de la Critique musicale de Moscou. Et son Gaspard de la nuit, de toute façon, le désignait là-bas comme un pianiste d’avenir. Deux ans après, le voici à la Philharmonie de Paris, où il joue le programme de son dernier disque, le troisième, gravé chez Sony : Sonates D. 664 et D. 784 de Schubert, Deuxième Sonate de Szymanowski.


L’Allegro moderato de la D. 664 nous confirme la singularité d’un artiste qui n’emprunte pas des chemins tout tracés. On n’attendra pas de lui des sourires à la viennoise. Il ne cherchera pas non plus à construire une forme, alors que beaucoup débusquent toujours chez Schubert le modèle beethovénien. C’est essentiellement sur le son et sur le rythme qu’il travaille, quitte à surprendre par ce qui pourrait s’apparenter à une déconstruction, tant il privilégie l’instant et non pas la durée. On croirait entendre une Sonate pour les sonorités opposées. La façon dont il creuse la dynamique fait sonner autrement, étrangement même, l’Allegro giusto de la D. 784. L’Andante ne sourira pas, l’Allegro vivace ne dansera pas : un Schubert atypique, décidément, qui peut hérisser mais aussi fasciner. Pour un peu, on penserait à la célèbre formule de Stravinsky sur les pouvoirs (in)expressifs de la musique.


S’attaquer sans partition à la redoutable Deuxième Sonate de Szymanowski, que peu ont osée, doit se marquer d’une pierre blanche – on se demande d’ailleurs comment son créateur Artur Rubinstein la jouait... Le jeune Français y fait preuve d’une impressionnante maîtrise, d’abord en allant vite, peut-être trop étant donné la densité du maillage sonore – un Sviatoslav Richter, les années passant, avait un peu infléchi son tempo. L’Allegro assai, en tout cas, explose littéralement. On lui reprochera seulement d’y manquer de folie, malgré le métronome : même si elle renoue avec la grande forme traditionnelle – à la tradition préclassique aussi, dans les Variations, la Sonate ressortit encore à un postromantisme exalté et fantasque, cyclothymique même. Le pianiste construit ensuite rigoureusement les Variations, faisant presque swinguer la quatrième, pour les conduire vers la gigantesque fugue, couronnement de l’édifice, digne de celle de la Hammerklavier beethovénienne, qu’il assume avec une virtuosité assez crâne. Un regret, malgré tout : que l’interprétation ne reste pas toujours au plus près des multiples nuances d’expression, qui révèlent parfois un art du second degré (le grazioso du thème, le pomposo du menuet, par exemple). Quoi qu’il en soit, chapeau !


Quel bis donner après un tel monument ? Un très poétique « Nostalgie du pays », tiré des Enfantines de Milosz Magin, puis une éblouissante improvisation sur « Just you, just me » de Nat King Cole.



Didier van Moere

 

 

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