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Sciarrino, magicien des sons Paris Espace Pierre Cardin 11/27/2017 - Salvatore Sciarrino : Aspern Suite – Fauno che fischia a un merlo – Siciliano – Lo spazio inverso Amandine Trenc (soprano)
L’Instant Donné
S. Sciarrino (© Luca Carrà/Rai Trade)
En se concentrant sur la décennie 1970-80, l’ensemble L’Instant Donné fait percevoir la naissance d’un style, avec la même acuité que Salvatore Sciarrino lui-même scrutant l’émergence du son. Se dessine un portrait tout en finesse du compositeur aujourd’hui septuagénaire, à qui le Festival d’Automne a toujours octroyé une place de choix dans sa programmation.
D’une sonate en quatre mouvements initialement prévue, Sciarrino s’en tient au mouvement liminaire, justement intitulé Siciliano (1975). Plus que le rythme caractéristique de cette danse, c’est l’interdépendance des instruments qui frappe, chacun semblant tenir un discours parallèle sans fusionner jamais : à la flûte, ces volutes souples et déliées, portées par un cantabile frémissant ; au clavecin cette faconde intarissable, railleuse même, que l’on retrouve dans l’usage du célesta de Lo spazio inverso (1985) : absolument magique, le début pianissimo de la clarinette, avec la production d’un son multiphonique, dont la flûte se fait l’écho à travers ce vibrato serré obtenu en frappant rapidement et délicatement le doigt sur la touche. Les cinq minutes enchanteresses de Fauno che fischia a un merlo (1980), pour flûte et harpe, passent comme dans un rêve. La pièce s’inspire d’une toile d’Arnold Böcklin (Faune et merle) : l’occasion pour le compositeur de sonder les interactions subtiles qui lient un titre à un discours musical des plus facétieux, où la harpe d’Esther Kubiez-Davoust s’affranchit des glissades impressionnistes (celles du faune de Debussy/Mallarmé ?) pour tisser ces « moments filés de soie » que célèbre un vers de Jean de La Fontaine.
En seconde partie de programme, Aspern Suite (1979) témoigne de l’intérêt de Sciarrino pour la littérature et de l’hospitalité de sa muse à la tradition : on se souvient de Gesualdo et de la musique italienne de la Renaissance dans l’opéra Luci mie traditrici (1998) ; ici, le compositeur à recours aux Noces de Figaro de Mozart afin de mettre en scène la quête impossible de Jeffrey Aspern, protagoniste principal du court roman d’Henry James Les Papiers d’Aspern. L’italianità de la ligne vocale (dont s’acquitte parfaitement la soprano Amandine Trenc), pétrie de réminiscences mozartiennes, évolue dans un environnement oppressant : celui des musiques nocturnes chères à Bartók, qui étirent les ombres et confèrent au moindre froissement d’insectes l’intensité d’un cataclysme. On notera l’usage tout en finesse de la percussion, au moyen d’un procédé par ailleurs très prisé d’Hugues Dufourt, lequel consiste à frapper délicatement une cymbale retournée sur une timbale. Soudain, de brusques éclats suggèrent quelque prédateur plongeant sur sa proie. Mais en l’espèce, la proie (consentante) est le public, totalement sous l’emprise d’un tel magicien des sons !
Saluons la performance des neuf musiciens de L’Instant Donné dans cette musique où le moindre écart dynamique peut tout déséquilibrer. Aux côtés des ensembles Recherche ou Accroche Note, ils accomplissent un travail de fond, entre création et fréquentation assidue d’un répertoire qu’ils ont contribué à façonner.
Jérémie Bigorie
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