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Chéreau encore et toujours

Paris
Opéra Bastille
11/18/2017 -  et 21*, 24, 26, 29 novembre, 2 décembre 2017
Leos Janácek : Z mrtvého domu
Willard White (Alexandre Petrovitch Goriantchikov), Peter Mattei (Chichkov), Eric Stoklossa (Alieïa), Stefan Margita (Filka Morosov/Louka Kuzmich), Peter Straka (Le grand prisonnier), Vladimír Chmelo (Le petit prisonnier), Jirí Sulzenko (Le commandant), Graham Clark (Le vieux prisonnier), Ladislav Elgr (Skouratov), Ján Galla (Tchekounov), Tomás Krejcirík (Le prisonnier ivre), Martin Bárta (Le cuisinier, Le forgeron), Vadim Artamonov (Le pope), Olivier Dumait (Le jeune prisonnier), Susannah Haberfeld (Une prostituée), Ales Jenis (Le prisonnier jouant Dom Juan et le brahmane), Marian Pavlovic (Kedril), Peter Hoare (Chapkine), Andreas Conrad (Tcherevine)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Esa-Pekka Salonen (direction musicale)
Patrice Chéreau (mise en scène), Peter McClintock, Vincent Huguet (réalisation de la mise en scène), Thierry Thieû Niang (collaboration artistique), Richard Peduzzi (décors), Caroline de Vivaise (costumes), Bertrand Couderc (lumières)


E. Stoklossa, S. Margita (© Elisa Haberer/Opéra national de Paris)


Avoir réuni de nouveau Pierre Boulez et Patrice Chéreau pour De la maison des morts restera un des titres de gloire de Stéphane Lissner – le DVD a, heureusement, immortalisé l’événement. C’était il y a dix ans, aux Wiener Festwochen, qu’il co-dirigeait avec Luc Bondy, puis aux festivals de Hollande et d’Aix-en-Provence. Il fallait bien qu’entre à Bastille cette mémorable production du dernier opéra de Janácek, tiré du roman de Dostoïevski, réalisée maintenant par Peter McClintock et Vincent Huguet dans une parfaite fidélité à la lettre et à l’esprit. Le décor froid de Richard Peduzzi forme un huis clos bétonné, monde de violence brute et de désespoir sans fond, où chacun, muré en lui-même, ressasse son passé de criminel. Lorsqu’une brèche s’ouvrira, elle ne laissera entrer que de la fumée. Aucune échappatoire : tombés du ciel, des livres, des papiers finiront dans des poubelles. Seul l’aigle blessé, une fois son aile guérie, pourra reprendre son vol, devenu « aigle tsar », emblème de cette liberté qu’invoquent les bagnards avant le baisser du rideau.


Chéreau signait une production qui tirait sa force de sa sobriété, d’un éloquent et poignant mélange de réalisme et de retenue. Bagne ? Goulag ? Camp de concentration ? C’est l’ordinaire de l’enfermement carcéral qu’il nous donnait à voir, parvenant, comme Janácek et Dostoïevski, à créer des individualités dans ce monde où l’on n’est plus personne. L’homme de théâtre, au plus près de la vérité des personnages, entretenait une tension parfois insoutenable, jusque dans les pantomimes du deuxième acte, marqués au sceau d’une sorte d’obscénité dérisoire et jamais racoleuse, symptôme de la misère sexuelle des bagnards.


Si le spectacle prend aux tripes, c’est aussi parce qu’il est total et que la fosse s’accorde à la scène, parce qu’Esa-Pekka Salonen n’a rien à craindre de la comparaison avec Boulez, ne serait-ce que pour la fluidité. Le Prélude donne le ton, implacable, plein d’arêtes, de sonorités minérales et abruptes, soulignant la modernité prophétique des associations de timbres et des audaces harmoniques. Le Finlandais, à partir de là, ne nous lâchera plus, faisant de la partition un opéra pour orchestre avec voix. Des voix qui sont là, identifiées aux personnages. Usé mais tellement présent, Willard White a la noblesse de Goriantchikov, finalement libéré – après avoir été cruellement fouetté. L’Alieïa d’Eric Stoklossa est magnifique, le Kouzmich de Stefan Margita fait froid dans le dos. Mais ce qui reste le plus gravé en nous, même si chacun pourrait être cité, c’est à la fin le monologue de Chichkov, par un Peter Mattei grandiose, géant au cœur brisé.


On devrait maintenant nous donner Elektra, le testament musical de Chéreau, que dirigeait à Aix... un certain Salonen. Vous pouvez encore voir cette semaine, au studio Bastille, Così fan tutte et le Ring. L’exposition de Garnier sur « Patrice Chéreau, mettre en scène l’opéra » dure jusqu’au 3 mars 2018.



Didier van Moere

 

 

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