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La Ballade des gros dindons Baden-Baden Festspielhaus 11/04/2017 - Sir Edward Elgar : Concerto pour violon en si mineur, opus 61
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 3 en mi bémol majeur, « Sinfonia eroica », opus 55 Daniel Hope (violon)
Sinfonieorchester Basel, Ivor Bolton (direction) (© Michael Gregonowits)
Daniel Hope commence à avoir ses habitudes au Festspielhaus de Baden-Baden, où l’on retrouve toujours avec plaisir ses manières policées, ainsi que son jeu violonistique qui ne l’est pas moins. Juste avant de prendre congé du public avec un bis (un Raga de Ravi Shankar en version « abrégée » , soit 2 minutes 30 au lieu de 3 heures !), il s’excuse d’avoir interprété auparavant de la musique anglaise, tentative d’exportation qu’il juge quelque peu « douteuse » en ce moment, à l’heure du Brexit. De l’art de briser la glace et de mettre le public dans sa poche... Mais quand cela émane d’un très grand artiste, on ne peut qu’entériner.
Un très britannique Concerto pour violon d’Elgar, donc, que pour mémoire on écoute pour la seconde fois au Festspielhaus de Baden-Baden en moins de six mois. L’exécution précédente avait mis la barre très haut (Zukerman/Mehta/Berliner Philharmoniker), mais celle-ci peut rivaliser. D’abord parce que l’Orchestre symphonique de Bâle possède une belle homogénéité et des cuivres à la fois sûrs et discrets. Ensuite parce qu’Ivor Bolton parvient à restituer cette musique avec de bonnes intuitions, même si ce n’est pas là a priori son domaine de prédilection. On apprécie une certaine transparence dans l’accompagnement du soliste, mais aussi quelques beaux éclats romantiques quand cela s’avère nécessaire. De surcroît le discours ne s’effiloche pas, écueil principal dans cet œuvre fleuve de 50 minutes où l’auditeur peut vite se retrouver désorienté. Aux prises avec une écriture violonistique vétilleuse (à la hauteur de la technicité de Fritz Kreisler, créateur de ce concerto en 1910), Daniel Hope parvient à surmonter sans encombre les passages les plus chargés mais convainc encore davantage dans les moments plus lyriques, dont un très bel Andante, à la ligne mélodique bien chantée et constamment contenue. A l’issue on en retire l’impression d’un ouvrage important (sans doute le dernier grand concerto pour violon romantique) et finalement beaucoup moins bavard que l’on ne pourrait le penser lors des premières écoutes. Elgar mérite décidément une véritable considération, et en particulier ce concerto-là, a priori moins estimé et joué que son Concerto pour violoncelle. Manifestement à tort, même s’il est vrai qu’en goûter toutes les beautés nécessite un travail d’acclimatation parfois long.
Après l’entracte, Ivor Bolton, directeur musical de l’Orchestre de Bâle depuis un an, s’attaque à la Troisième Symphonie de Beethoven, ouvrage plus qu’attendu (la salle est bien remplie). Reste à savoir si cette exécution qualifiée de « symphonique » répond bien aux attentes, car si c’est bien un orchestre moderne que l’on écoute, son chef du moment a fait ses classes dans un autre univers et tient ouvertement à nous le montrer. Donc c’est un Beethoven « sans vibrato et sans pistons » qui est servi dans les assiettes, alors que le menu ne nous le précisait pas forcément. Au moins c’est là une bonne occasion de se faire une idée, dans les véritables conditions du concert, de la validité de ce type d’option, et avouons que le résultat laisse perplexe. Trois cors naturels et deux trompettes archaïques, c’est relativement peu en volume pour un orchestre par ailleurs moderne et assez richement doté en cordes. Dès lors cuivres ne fonctionnent pas comme un ciment d’homogénéité mais plutôt comme une couleur spéciale, à vrai dire surtout dérangeante. On ne parle même pas des fanfares du Trio du Scherzo, très incertaines, encore que sans trop de couacs, mais de déséquilibres qui par exemple rendent insignifiante la réexposition du cor juste avant la coda du premier mouvement. Passons aussi sur l’intendance que requièrent ces cuivres insolites, avec de fréquentes nécessité de vidange des tuyauteries, dispersions et ravalages de salive divers dans des positions peu gracieuses. Quant au « sans vibrato » des cordes, cette option se révèle non seulement assez fatigante auditivement, mais déstabilise de façon patente la synchronisation des pupitres. Curieuse gestique démantibulée d’Ivor Bolton aussi, qui débouche parfois sur d’invraisemblables contrastes entre la violence d’un geste et le tutti vacillant et anémique qu’il déclenche, parce que les musiciens sont trop obnubilés par le respect du cahier des charges qui leur est par ailleurs imposé, au point d’en oublier de jouer avec leur naturel habituel. Avec pour résultat une Symphonie héroïque bizarre, somme toute pataude, dont la démarche curieusement oscillante nous évoque parfois à s’y méprendre « Les gros dindons », qui vont « à travers champs, d'un pas solennel et tranquille... en procession docile... » dans une délicieusement drôle mélodie de Chabrier et Rostand.
En bis, le splendide Nocturne extrait de la musique de scène de Shylock de Gabriel Fauré, clair de lune musical malheureusement restitué sans poésie, aussi parce que les cordes de l’Orchestre symphonique de Bâle peinent à retrouver leur sonorité habituelle, après une heure d’un jeu quasiment contre nature.
Laurent Barthel
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