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Le « spectralisme alternatif » de Georg Friedrich Haas Paris Cité de la musique 11/10/2017 - Georg Friedrich Haas : In Vain Ensemble intercontemporain, Erik Nielsen (direction)
E. Nielsen
Le programme a de quoi allécher puisqu’il y est question d’un « spectralisme alternatif » flirtant avec la micro-tonalité, d’une œuvre-manifeste d’une heure et quarante-cinq minutes où les lumières s’éteignent et se rallument afin de bousculer nos habitudes d’écoute... à défaut de conjurer les démons du passé et le cours de l’histoire : créé en 2000 peu de temps après l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite en Autriche, In Vain («En vain») de Georg Friedrich Haas (né en 1953) nous montre le compositeur en grand saucier des timbres, soucieux de synthétiser plusieurs influences.
Epinglons l’utilisation des microtons héritée d’Ivan Wyschnegradsky (1893-1979), ou « le libre vagabondage sans cohésion thématique » tiré de l’idéal formel d’Alois Hába (1893-1973). Mais c’est surtout Gérard Grisey (1946-1998) et ses emblématiques Espaces acoustiques qu’évoquent non seulement l’instrumentarium de vingt-quatre musiciens incluant l’accordéon, mais aussi ces « suites d’harmoniques descendant à l’infini » dont nous parle Bernhard Günther dans les notes de programme.
Après un début constitué de lignes descendantes répétées en boucle, la lumière s’éteint progressivement, laissant apparaître des sons tenus et autres phénomènes de pédale à la Scelsi : le chef et les partitions n’étant plus visibles, les musiciens inclinent vers l’introspection, avant un ample adagio extatique gangréné de silences. Mais voici des frottements véhéments qui amènent le climax aux effets décuplés par l’éclairage intermittent. Les dernières mesures renouent avec les lignes du début tandis que la toute fin rappelle le perpetuum mobile qui referme Wozzeck de Berg.
A l’issue de l’écoute, on se dit que le compositeur aurait pu exploiter davantage l’opportunité dramatique qu’offraient les jeux de lumières. Plus intéressantes sont apparues les zones de transition qui font appel au jeu ad libitum, perceptible à travers la gestique du chef (diligent Erik Nielsen) apparentée à celle préconisée par Boulez dans Eclat-Multiples (1970)... à laquelle les musiciens de l’EIC sont plus qu’aguerris ! Ces moments expectatifs, fertiles en tous les possibles, suffiraient à prouver que si l’œuvre est « une vanité politique » (mais la musique peut-elle changer le monde ?), elle n’est pas une vanité musicale.
Jérémie Bigorie
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