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Nudité et handicap Paris Espace Pierre Cardin 11/02/2017 - et 3#§, 4#§, 5#§, 6#§, 7# novembre 2017 Jérôme Bel (#)
Disabled Theater (§) Jérôme Bel (conception)
Eric Affergan, Yaïr Barelli, Michèle Bargues, Claire Haenni, Frédéric Seguette (#),
Compagnie Theater Hora (§) Jérôme Bel
Le «portrait» consacré par le Festival d’Automne au chorégraphe montpelliérain Jérôme Bel se poursuit au Théâtre de la Ville délocalisé à l’Espace Cardin qui, dans ses deux salles, propose deux spectacles désormais célèbres: Jérôme Bel et Disabled Theater.
Ces deux spectacles montrent, et c’est la finalité de ce «portrait», deux facettes très différentes de l’activité de Bel. Pour les spectateurs qui n’auraient pas vu à sa création parisienne en 1995 à La Ménagerie de Verre le spectacle Jérôme Bel, le parfum de scandale qui a entouré les premiers travaux de Bel peut paraître bien éventé. A l’époque et principalement en France, car dans les pays nord-européens la pilule passait mieux, Bel était conspué, chahuté sur scène et dans la rue, des compagnies signaient même des pétitions contre ces danseurs qui ne dansaient pas. Vingt ans après, les spectateurs de danse contemporaine ont subi tellement d’outrages, Jan Favre et d’autres Flamands sont passés par là et la nudité comme le fait d’uriner sur scène ou, pire encore, de ne pas danser du tout ne vident plus les salles. Il est remarquable de noter qu’à la première représentation de cette reprise, aucun spectateur n’a quitté la salle, la chose étant pourtant un rituel de la danse contemporaine: du quasi jamais-vu! Dans Jérôme Bel, toujours interprété par les quatre danseurs de la création dont les corps ont vieilli mais pas la détermination à se produire nus, chacun vaque sur scène pendant une heure à une occupation qui peut être de rester immobile en fredonnant la quasi-totalité des Variations Goldberg de Bach (un exploit en soi), rester allongé pour éclairer la scène, maquiller au rouge à lèvres les détails marquants de son anatomie. L’heure qui se passe bon an mal an se termine dans l’urine répandue sur scène et par quelques gags. Chacun est libre de réagir comme il veut ou peut à cette exploitation du «degré zéro de la danse» (Bel dit avoir été en cela inspiré par Barthes), force est de constater que dans la salle on entendait une mouche voler...
Disabled Theater
Disabled Theater, qui met en scène une troupe d’acteurs handicapés suisse-allemands (Theater Hora de Zurich, dont les participants sont principalement des trisomiques), est autrement enrichissant et va plus loin que Gala dans sa démarche de faire se produire sur une scène des individus qui classiquement n’y auraient pas leur place. C’est une expérience humaine irremplaçable. Comme pour Gala, la façon dont l’ensemble du public réagit un soir donné conditionne le déroulement du spectacle et chaque spectateur peut réagir individuellement à la proposition avec un nombre infini d’émotions allant de l’empathie complète au rejet le plus total.
La part d’improvisation du spectacle est contenue dans un carcan très formel. Les dix acteurs sont tenus de se présenter un à un, assistent sur des chaises aux performances de leurs camarades qui, si elles sont à chaque fois bluffantes, ne le sont pas autant que l’ambiance qui règne dans leur dos sur cette manière de banc de touche. La partie formelle de la présentation suivie ensuite d’une autocritique du show est fondamentale afin que le public identifie chaque acteur et son handicap précis, qui est décliné par chacun, et pas seulement un panel de handicapés qui seraient interchangeables. Indispensable pour faire éclater la notion de handicap, car le show auquel on assiste ensuite – chacun, dans une discipline très formelle y va de sa danse sur une musique de son choix – est un défi auquel bien peu de personnes non handicapées pourraient se mesurer. Tout se passe dans une incroyable bonne humeur et quand tous sortent de scène après avoir salué bien gentiment, certains peuvent penser avoir assisté à un freak show et culpabiliser sur le plaisir pris à une manière de voyeurisme ou au contraire y voir une belle expérience humaine enrichissant public et participants. Il est certain qu’avec cette facette de son activité, Jerôme Bel rend plus service à la danse qu’en la déconstruisant.
Olivier Brunel
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