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Neumeier et Nijinsky

Baden-Baden
Festspielhaus
10/13/2017 -  et 14, 15 octobre 2017
Nijinsky
John Neumeier (chorégraphie, décors et costumes), Frédéric Chopin, Robert Schumann, Nikolaï Rimski-Korsakov, Dimitri Chostakovitch (musique)
Hamburg Ballett


(© Kiran West)


Nijinsky est un copieux ballet biographique, créé en 2000, qui retrace les principales étapes de la carrière de Vaclav Nijinsky, danseur et chorégraphe pour lequel John Neumeier éprouve depuis son enfance une véritable fascination. Pouvoir assister à cette épopée par la troupe de son créateur même, avec des solistes de l’envergure d’Alexandre Riabko, Carolina Agüero, ou Silvia Azzoni, est évidemment un privilège, que l’on doit ici à la traditionnelle résidence annuelle, chaque automne, du Ballet de Hambourg à Baden-Baden (voir par ailleurs Le Chant de la terre).


Après bientôt vingt ans de rodage, la fresque en est désormais à son stade d’impact maximal : un ballet certes, mais aussi un Tanztheater dans l’acception du terme désormais courante en Allemagne. La première partie, surtout, est fortement biographique, en partant d’un flashback : la dernière apparition de Nijinsky en public, dans un hôtel à Saint-Moritz, qui suscita une certaine consternation perplexe, le danseur étant déjà atteint des premiers signes d’une maladie mentale invalidante. En partant de ce solo, traversé de secousses inattendues et bizarres, se tisse à rebours une affaire sentimentale compliquée entre Nijinsky, sa future épouse, rencontrée au cours d’un voyage en bateau vers l’Amérique du Sud, et Diaghilev, amant homosexuel déçu, qui ne pardonnera jamais à Nijinsky de l’avoir abandonné pour un autre destin sentimental. Sur des musiques empruntées pour l’essentiel à la Shéhérazade de Rimski-Korsakov se déroule une bonne partie de l’histoire des plus célèbres années des ballets russes (Nijinsky dans Shéhérazade, mais aussi Carnaval, Le Spectre de la rose, Jeux, le Prélude à l’après-midi d’un faune...). Les musiques ne correspondant pas, il faut parfois une certaine culture quant à l’histoire de cette époque pour comprendre à quoi il est fait allusion, mais la grande beauté des costumes, ouvertement démarqués de l’art de coloriste d’un Benois ou d’un Bakst, et bien sûr la fluidité extraordinaire de la danse créent un univers véritablement magique. On notera aussi les tensions érotiques très fortes des pas de deux voire de trois (le personnage du danseur-vedette se dédouble parfois, entre l’homme à la ville et ses apparitions en costume sur scène), relation Nijinsky-Diaghilev détaillée avec un art et une pudeur extraordinaires. L’athlétique Alexandre Riabko se taille ici la part du lion, mais on n’aurait garde d’oublier la fantastique démonstration d’autorité hautaine d’Ivan Urban en Diaghilev, ni les apparitions plus fugaces du toujours aérien Alexandr Trusch, qui parviennent à transcender quelques costumes devenus parfois totalement ridicules pour nos yeux de spectateurs modernes (mais conformes aux dessins et photographies d’époque).


Seconde partie plus brutale, sur la Onzième Symphonie de Chostakovitch. Années de révolution russe réprimée dans le sang, puis année de guerre aussi. Là le Pétrouchka de Stravinsky erre comme un pantin désarticulé au milieu des cadavres (formidable Konstantin Tsellikov), où encore Nijinsky se perche sur une chaise pour crier des numéros au dessus de la panique guerrière, allusion à la tumultueuse première du Sacre du printemps. Sur les tutti d’une bande son poussée à fond (pas d’orchestre en fosse ce soir, ce qui est dommage), le corps de ballet masculin, fragiles jambes nues sous des vestes d’uniforme, se livre à une évocation terrifiante de ces années de pure violence qui tireront un trait définitif sur une époque. Séquences prolongées par le pur délire de la folie personnelle de Nijinsky, quand celle-ci prendra définitivement le dessus (pathologie familiale d’ailleurs, comme le souligne brillamment Aleix Martinez dans le rôle du frère du danseur, auquel est réservé l’un des solos les plus ouvertement étranges et fascinants de la pièce). Le décor bascule, se fragmente, les danseurs eux-mêmes hurlent sauvagement par dessus la musique. Un chaos qui peut-être se prolonge un peu trop, avec quelques séquences qui n’ajouteront plus rien de déterminant. A cette réserve finale près, une soirée énorme, à tous les sens du terme, dont on sort ébloui et fasciné.



Laurent Barthel

 

 

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