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Onéguine au jardin Zurich Opernhaus 09/24/2017 - et 27, 30 septembre, 8, 13, 19, 22, 25*, 28 octobre 2017 Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24 Liliana Nikiteanu (Madame Larina), Olga Bezsmertna (Tatiana), Ksenia Dudnikova (Olga), Margarita Nekrasova (Filipievna), Peter Mattei (Eugène Onéguine), Pavol Breslik (Lenski), Christof Fischesser (Le Prince Grémine), Martin Zysset (Monsieur Triquet), Stanislav Vorobyov (Le Lieutenant, Zaretzki)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Philharmonia Zürich, Stanislav Kochanovsky (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Jan Essinger (reprise de la mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Klaus Bruns (costumes), Franck Evin (lumières), Simon Berger, Beate Breidenbach (dramaturgie)
(© Monika Rittershaus)
Au lever de rideau, deux femmes âgées sont assises sur un banc dans un grand jardin bordant une forêt ; elles papotent tout en faisant cuire de la confiture, avant d’être rejointes par Tatiana et Olga. Cette entrée en matière des plus réalistes surprend quand on sait que le spectacle a été conçu par Barrie Kosky, connu pour ses concepts parfois radicaux. Et pourtant, malgré les apparences, c’est à un Eugène Onéguine sortant de l’ordinaire que le metteur en scène convie les spectateurs de l’Opernhaus de Zurich, après ceux de la Komische Oper de Berlin, où la production a été créée. Les tableaux suivants se déroulent, eux aussi, dans le jardin, le décor unique rendant le spectacle fluide : Tatiana écrit sa lettre en plein air, avant un pique-nique sur l’herbe en lieu et place de la réception chez Madame Larina. Le duel entre Onéguine et Lenski se déroule dans ce même lieu, mais on ne voit pas les deux protagonistes, cachés par les arbres ; seul un coup de feu signale l’issue tragique. Le dernier acte, celui de la soirée au palais du prince Grémine, fait exception pour se situer dans les murs d’une grande pièce, murs qui seront démontés par des figurants pour permettre à Tatiana et à Onéguine de s’échapper et de se retrouver dans le jardin où ils se sont rencontrés. Cet Onéguine a, de surcroît, été débarrassé de tout le folklore russe qui lui est associé (pas d’uniformes ni de longues robes donc) pour devenir une histoire universelle et intemporelle, aussi sobre que poignante.
Par ailleurs – et c’est l’autre grande force de la production de Barrie Kosky – les personnages sont clairement et finement caractérisés : Tatiana est une jeune fille peu sûre d’elle, pleine de tics, solitaire et rêveuse, préférant les livres à la compagnie des êtres humains. Olga Bezsmertna, qui fait ses débuts à Zurich, a la voix claire et lumineuse de la jeunesse, quelques notes craquées rendant le personnage encore plus touchant et fragile. Sa sœur Olga est aux antipodes, jeune fille volubile, enjouée et solaire. Ksenia Dudnikova séduit par son timbre grave et corsé. Durant la célèbre scène de la lettre, Tatiana ne trouvant pas les mots pour exprimer ses sentiments à Onéguine, elle déchire des pages de ses livres puis les introduit dans un pot de confiture qu’elle fait livrer à l’homme qu’elle aime. Celui-ci est un dandy particulièrement désabusé et cynique, revenu de tout, qui promène son ennui et sa tristesse au gré de ses déplacements. Peter Mattei, très en voix, accentue le côté ténébreux du personnage. Pavol Breslik incarne un Lenski délicat et stylé, jeune homme souriant et serviable, sincèrement épris d’Olga, avant que sa jalousie, titillée par Onéguine, lui fasse changer de visage. Dans l’attente du duel, il est couché par terre en train de vider une bouteille de vodka. Seul bémol d’une distribution de haut niveau, le Grémine sans éclat de Christof Fischesser. La fosse offre, elle aussi, de nombreux motifs de satisfaction. A la tête du Philharmonia Zürich, le jeune chef russe Stanislav Kochanovsky propose une lecture énergique et enflammée du chef-d’œuvre de Tchaïkovski, exacerbant les couleurs et les nuances de la partition, sans toujours réussir cependant à contenir la puissance sonore de l’orchestre.
Claudio Poloni
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