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Année Beethoven à Strasbourg

Strasbourg
Palais de la Musique
10/05/2017 -  et 6 octobre 2017
Thomas Adès : Totentanz
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 3 en mi bémol majeur, « Sinfonia eroica », opus 55

Christianne Stotijn*/Carolina Krogius (mezzo-soprano), Adrian Eröd (baryton)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)




Le texte allemand de Totentanz de Thomas Adès figurait en inscription sous une Danse macabre, frise peinte au XVe siècle dans l’église Sainte-Marie de Lübeck. L’auteur est anonyme et la peinture réduite aujourd’hui à l’état de souvenir, détruite pendant un raid aérien de la Seconde Guerre mondiale. Retranscrit deux siècles plus tard en « hochdeutsch » par une autre plume, il s'agit d’un long dialogue entre la Mort, incarnée par un baryton, et une série d’êtres humains qui lui répondent, du plus riche au plus humble, du vieillard le plus âgé au plus innocent nouveau-né, silhouettes qui ont toutes fait connaissance successivement avec la grande faucheuse. Ces répliques sont dévolues à une mezzo-soprano, et ce soir Christianne Stotijn, qui a créé cette partition en 2013 aux Proms de Londres, ne peut malheureusement en donner qu’une impression peu marquante, suite à une sévère indisposition. La voix a perdu ses couleurs voire menace de s’éteindre en plein milieu, pour retrouver un rien de vigueur ensuite, mais sans aucun éclat. Remercions chaleureusement la mezzo-soprano hollandaise d’avoir ainsi pu sauver la soirée, mais il est clair que notre perception de cette Totentanz en sort déséquilibrée.


Il faut se rabattre sur les autres volets, bien assumés par le baryton Adrian Eröd, pour mieux appréhender cette œuvre ambitieuse, sorte d’oratorio/cantate qui marche sur les brisées de la Danse des morts de Honegger, avec pour point commun une constante maîtrise du maniement de l’orchestre. Effectif chargé (avec pas moins de neuf percussionnistes au fond), écriture riche et diversifiée, dont le mariage avec les voix peut poser problème (non pas en volume, avec de nombreuses « fenêtres » utilement pratiquées dans l’orchestration, pour ne pas couvrir) mais en termes de soutien de phrases chantées dont l’écriture bousculée paraît parfois gratuite. Les aspects de danse véritable, frénésies sacrales pour grand orchestre qui rendent un lointain hommage à Stravinsky, sont plus convaincants, de même que la fin, qui revient à un consentement tonal délibérément appuyé et rééquilibre l’ensemble. Peut-être pas la partition la plus aboutie de Thomas Adès mais une démonstration supplémentaire du savoir-faire d’un compositeur important. Et aussi ce soir, une très belle démonstration donnée par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, sous la direction d’un Marko Letonja impressionnant d’engagement physique.


Inclus aussi dans la programmation du Festival Musica 2017, ce concert fait le grand écart entre une première partie contemporaine et un second volet tout à fait classique, car il s’agit aussi d’inaugurer le cycle Beethoven qui va largement occuper Marko Letonja et son orchestre au cours de la saison 2017/2018 : une intégrale des Symphonies du maître de Bonn, en six concerts. Projet passionnant mais aussi dangereux à plus d’un titre. Rien de plus archi-rebattu en apparence que ce corpus-là, et paradoxalement aussi, rien qui soit devenu plus rare dans les salles de concert, nos grandes phalanges symphoniques préférant aujourd’hui se noyer dans de charivaresques projets Mahler et Bruckner. Les vertiges beethovéniens peuvent légitimement faire peur à un orchestre car ils ne tolèrent jamais la moindre zone de relâchement, et se mettre constamment à la hauteur du monument peut paraître une tâche d’autant plus ingrate que le public, qui connaît ces partitions mieux que toutes autres, ne pardonnera rien, en fonctionnant d’ailleurs de façon assez imprévisible, selon des références hautement subjectives. Il est très édifiant d'enregistrer, à l’issue de cette brillante exécution de la Troisième Symphonie « Héroïque » les réactions épidermiques de tel ou tel informé préférant finalement, je cite, « sa » version discographique fétiche signée Giulini, ou ailleurs le souverain Furtwängler 44, ou encore, pour les Strasbourgeois les plus anciennement enracinés, leurs souvenirs personnels de Charles Munch.... Curieux rapport à un idéal parfois fantasmé, ou du moins biaisé par une virtualité discophilique dont les rapports avec le réel demeurent discutables. Donc saluons bien bas, au contraire, le courage de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et de son chef, d’autant plus qu’aujourd’hui les musiciens sont prêts : d’excellents premiers pupitres dans la petite harmonie, et des cordes qui ont retrouvé leur cohésion grâce à un vrai travail de fond.


Les deux accords initiaux de cette Symphonie « Héroïque », qui à eux seul posent d’infinis problèmes, vacillent un peu. Le plongeon initial n’est pas impeccable mais qu’importe, car d’emblée le style s’annonce bon. Marko Letonja privilégie l’avancée, à un tempo si vif qu’on se demande un moment s’il n’essaie pas de suivre les indications métronomiques originales, sujettes elles-mêmes à d’interminables débats. Mais au fil des mouvements c’est au contraire l’impression d’un grand pragmatisme qui prévaut, avec à chaque fois la recherche collective de solutions qui fonctionnent, sans trop vouloir se conformer à une tendance particulière. Le deuxième mouvement, Marcia funebre superbement construite et sans hâte, nous paraît le meilleur moment, le plus abouti en tout cas, alors que le quatrième semble s’éparpiller davantage, avec tout à coup un moment de relâchement de l’orchestre, heureusement bref, mais qui met encore davantage en valeur, a contrario, l’extrême concentration de tous partout ailleurs. Et les motifs de satisfaction surabondent: les interventions de Sébastien Giot au hautbois, qui à chaque fois élèvent très haut le débat, les heureux mariages avec la noble clarinette de Sébastien Kobel, les interventions de la flûte de Sandrine François, qui sort de sa réserve, et même la notable propreté d’un pupitre de cors très fourni, mais qui tire de cette supériorité en nombre une assurance qu’il n’a malheureusement pas souvent d’habitude. Beaucoup d’énergie et de concentration aussi dans les cordes, en ordre de bataille décidé, derrière Charlotte Juillard, de plus en plus engagée dans son rôle de leader. Un orchestre entier retrouve le plaisir des défis, voire tout simplement la joie de bien faire et se faire plaisir ensemble à jouer une très grande œuvre. Et c’est merveilleux !



Laurent Barthel

 

 

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