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Un Ravel écrasant Geneva Victoria Hall 10/04/2017 - et 5 octobre 2017 Maurice Ravel: Frontispice (orchestration Pierre Boulez) – Concerto pour la main gauche – Daphnis et Chloé Alexandre Tharaud (piano)
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande, Jonathan Nott (direction) A. Tharaud
Il y avait du renouveau dans l’air pour ce premier concert symphonique de cette saison: un nouveau président de l’Orchestre de la Suisse Romande en la personne d’Olivier Hari, qui succède à Florence Notter, un nouveau site internet et l’arrivée d’un nouveau Konzertmeister, Svetlin Roussev, issu de l'Orchestre philharmonique de Radio France de nos voisins parisiens.
Ne vous sentez pas inculte si vous pensiez connaître votre Ravel sur le bout des doigts mais, comme moi et probablement comme la totalité de la salle, vous n’aviez pas entendu parler de Frontispice. Il s’agit d’une pièce surprenante d’une profonde originalité, de quelques minutes pour cinq mains (donc pas quatre...), variée rythmiquement dans un premier temps et finissant par une montée harmonique très hardie. Ce n’est pas un hasard si c’est Pierre Boulez lui-même qui l’a orchestrée: ce Ravel-là est d’un modernisme radical qui a dû parler au compositeur des Notations.
La concision de cette pièce a surpris des auditeurs qui n’étaient pas sûrs que la pièce était finie, ainsi que deux musiciens arrivant un peu confus après l’entrée sur scène d’Alexandre Tharaud. Ce dernier avait laissé un beau souvenir de l’exécution qu’il avait donnée du Concerto en sol en 2010 mais le Concerto pour la main gauche est une œuvre beaucoup plus dense. Le pianiste français a du mal à trouver la puissance sonore nécessaire à son entrée. Malgré une forte utilisation de la pédale, sa lecture manque de couleur. Il n’est peut-être pas aidé par la conception de Jonathan Nott, qui privilégie une approche très analytique soulignant tous les détails de la partition et couvrant trop souvent son soliste. Il faut attendre la cadence finale pour que le pianiste se libère et retrouve les qualités de phrasé qu’on lui connaît. Mais en fin de compte, on peut légitimement se demander si cette œuvre fait vraiment partie du répertoire naturel de ce grand interprète.
La seconde partie de ce concert nous permet de retrouver le ballet intégral Daphnis et Chloé, qui avait été donné avec ce même orchestre en 2013 sous la direction de Kazuki Yamada. La conception de Jonathan Nott est plus théâtrale que celle de son collègue japonais. La première partie trouve des accents et une violence qui ne sont pas sans évoquer Stravinsky. Comme c’est souvent le cas à l’OSR, les bois sont de haut niveau et à la flûte, Sarah Rumer nous rappelle à quel point elle est un des grands talents de cet orchestre. Le Chœur du Grand Théâtre est de grande qualité. Mais la volonté de faire sonner la musique avec flamboyance se fait souvent au détriment des équilibres, les cuivres écrasant des tutti trop puissants qui ne devraient peut-être pas être tentés dans cette salle à l’acoustique si problématique. Les passages plus modérés sont plus réussis et bénéficient de la volonté du chef de caractériser les passages mais on reste finalement en deçà du potentiel que l’on pourrait attendre de tels artistes.
Il faudra attendre plusieurs années avant que n’arrive la nouvelle Cité de la musique et cette soirée montre vraiment à quel point Genève a besoin d’une nouvelle salle. Jonathan Nott a raison de pousser son orchestre à produire un son riche mais cela passera à la fois par la présence de nouveaux musiciens et par la capacité de ceux-ci à développer des réflexes collectifs. Peut-être faudrait-il systématiquement mettre au premier étage les rideaux de velours qui n’étaient hier installés qu’en fond de scène et qui sont utilisés en répétition où dans de quelques rares cas d’œuvres très orchestrées comme la Symphonie «Leningrad» ou Le Chant de la Terre. La nouvelle disposition que Jonathan Nott a fait adopter aux cordes les pousse à mieux s’écouter pour s’améliorer. C’est exactement ce dont cet orchestre a besoin mais la salle sera toujours un élément qui les freinera dans leurs progrès.
La saison qui s’ouvre nous permettra de retrouver Jonathan Nott dans de nombreux programmes. Il revisitera Schubert avec sa Sixième Symphonie et Mahler avec la monumentale Troisième Symphonie. Il accompagnera Nelson Goerner dans le Concerto en sol de Ravel. L’OSR retrouvera le jeune et brillant Lahav Shani dans un programme Beethoven-Brahms avec Radu Lupu en soliste, ainsi que Sir Mark Elder et Peter Eötvös. Leonidas Kavakos et Marin Alsop feront leurs débuts genevois ainsi que Peter Schneider dans les trop rares Scènes de Faust de Schumann. De brillantes soirées en perspective à ne pas manquer.
Antoine Lévy-Leboyer
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