About us / Contact

The Classical Music Network

Karlsruhe

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Adrienne se trompe d’époque

Karlsruhe
Staatstheater
09/22/2017 -  et 30* septembre, 5, 11 octobre, 2, 12, 24 novembre, 21 décembre 2017, 16 janvier 2018
Francesco Cilea : Adriana Lecouvreur
James Edgar Knight /Rodrigo Porras Garulo* (Maurizio), Konstantin Gorny/Avtandil Kaspeli/Bálint Szabó* (Le Prince de Bouillon), Klaus Schneider (L’Abbé de Chazeuil), Seung-Gi Jung (Michonnet), Katherine Broderick*/Barbara Dobrzanska (Adriana Lecouvreur), Sanja Anastasia/Fredrika Brillembourg* (La Princesse de Bouillon), Tiny Peters*/Agnieszka Tomaszewska (Mademoiselle Jouvenot), Luise von Garnier/Ariana Lucas* (Mademoiselle Dangeville), Cameron Becker/Nando Zickgraf* (Poisson), Hakan Ciftcioglu (Quinault)
Badischer Staatsopernchor, Ulrich Wagner (chef de chœur), Badische Staatskapelle, Johannes Willig (direction musicale)
Katharina Thoma (mise en scène), Dirk Becker (décors), Irina Bartels (costumes), Stefan Woinke (lumières), Hélène Verry (chorégraphie)


(© Falk von Traubenberg)


Créée à Milan en 1902, par un curieux hasard de l’histoire six mois après Pelléas à Mélisande à Paris, Adriana Lecouvreur de Cilea ne présente évidemment aucun point commun avec l’ouvrage de Debussy, si ce n’est que dans chaque cas l’héroïne y passe tout un acte à mourir, doucement, lentement... Pour Adriana Lecouvreur; ce n’est d’ailleurs que grâce à ce rôle-titre, qui continue à tenter toutes les divas férues non seulement de chant mais aussi d’expressivité théâtrale, que l’oubli n’a pas été total. Cela dit, il ne s’agit plus guère d’un opéra qui fait courir les foules, et ceci se vérifie encore à Karlsruhe ce soir, avec une salle remplie à moitié seulement, alors que cette nouvelle production n’est au répertoire que depuis six mois.


Au début du siècle dernier, l’ouvrage bénéficiait encore de la popularité préalable de la pièce de Scribe et Legouvé, fait divers historique mettant en scène des personnages qui ont tous existé. La plupart des grandes tragédiennes y ont défilé, jusqu’à même Sarah Bernhardt et la Duse, et encore aux débuts du cinéma le sujet faisait l’objet d’adaptations filmées. Le succès initial de l’opéra s’est beaucoup nourri de ce terreau favorable : une intrigue amoureuse bien ficelée, dans les coulisses de la Comédie-française au 18e siècle, avec juste ce qu’il faut d’ambiance surannée, époque à la fois raffinée et galante, ce qui n’exclut ni intrigues politiques ni crimes passionnels.


Dépouiller l’ouvrage de ces oripeaux historiques, qui sont pourtant une des clés de son charme désuet, un peu fané comme le bouquet de violettes symbolique qui joue un rôle fondamental dans l’intrigue, paraît dès lors une idée absurde, ou du moins symptomatique d’un Regietheater qui ne parvient jamais à remettre en question ses élucubrations par un sursaut de lucidité. Katharina Thoma, que l’on connaît déjà pour avoir achoppé sur La Clémence de Titus à Strasbourg ou Vanessa à Francfort, récidive en transposant à l’époque contemporaine un ouvrage qui non seulement n’en avait pas besoin mais en sort laminé. Ainsi le troisième acte, au palais du Prince de Bouillon, devient-il une réception en smoking et robes du soir - ou du moins ce qui tient parfois de robe du soir en Allemagne, conception du chic proche de l’emballage en tissus d’ameublement -, où l’on danse à mi-chemin entre les pas de valse et les passes de rock. Bref, une réception de parvenus, d’un ridicule absolument tuant, à l’image de toutes ces dames qui trébuchent sur leurs talons aiguilles trop hauts. Et on trouve encore davantage d’incohérences prétentieuses à l’acte suivant, qui paraît se dérouler de nombreuses années plus tard : tous les personnages ont vieilli et Maurice de Saxe n’est même plus présent, si ce n’est à l’état de fantôme, entièrement fardé et habillé de blanc...


On enrage d’autant plus que vocalement le compte est bon. Surtout les deux rivales qui se disputent les faveurs de Maurizio ont l’exact poids vocal pour s’affronter à armes égales. Physiquement, c’est en revanche une autre histoire, tant l’une des deux chanteuses paraît avoir effectué sa croissance majoritairement en longueur, et l’autre plutôt en largeur... A ce sujet rappelons au passage qu’un costumier talentueux peut rattraper beaucoup de disparités physiques au théâtre, alors que ce soir tout paraît fait au contraire pour les accentuer. Rappelons aussi qu’au 18e siècle l’une des utilités principales des robes à panier était de conférer une remarquable finesse de taille, même à des dames qui en étaient totalement dépourvues. A défaut, il nous reste à compatir avec Katherine Broderick, attifée en dépit du bon sens (les divas ne font vraiment plus assez de caprices de nos jours !), et à laquelle il ne reste plus que ses atouts vocaux, heureusement consistants : un beau sens de la ligne, un timbre nourri et charnu, et même un bel investissement dramatique dans l’intonation. Impressionnante découverte aussi avec la Princesse de Bouillon de Fredrika Brillembourg, silhouette de top model, distinction naturelle, avec de beaux graves mais jamais inutilement poitrinés : une aristocrate de grande classe. Mais qu’on se rassure, la costumière aura sa revanche : au troisième acte cette orgueilleuse princesse se retrouve saucissonnée dans un fourreau tellement exagérément évasé en bas que la marche en devient impossible, ou du moins nécessite de multiples précautions.


Du côté masculin, Rodrigo Porras Garulo est un ténor nouvellement arrivé dans la troupe de Karlsruhe, et qui peut envisager une belle carrière. L’émission est claire est saine, les appuis vocaux sont bons, les aigus sûrs, et ces qualités se doublent d’un heureux sens musical. Physiquement aussi, ce jeune ténor mexicain peut incarner de façon crédible l’un des plus incorrigibles séducteurs du 18e siècle. N’oublions pas non plus l’excellent Michonnet du baryton coréen Seung-Gi Jung, qui sait exploiter toutes les facettes d’un rôle en or, toujours immédiatement sympathique, et en fosse la direction experte de Johannes Willig, à la tête d’une Badische Staatskapelle irréprochable.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com