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Entrée haute en couleur

Le Mans
Sablé-sur-Sarthe (Centre culturel)
08/22/2017 -  et 2 septembre (Périgueux), 19 novembre (Thionville), 2, 3 décembre (Massy) 2017
Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la Duchesse
Emiliano Gonzalez Toro (Don Quichotte), Marc Labonnette (Sancho Pança), Chantal Santon-Jeffery (Altisidore), Virgile Ancely (Montesinos, Merlin, Le traducteur), Marie-Pierre Wattiez (La paysanne), Agathe Boudet (Amante 1, La suivante), Charles Barbier (Amante 2), Corinne Benizio (La diva espagnole), Gilles Benizio (Le duc, Le Japonais)
Le Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction)
Philippe Lafeuille (chorégraphie), Daniel Bevan (décors), Jacques Rouveyrollis (lumières), Anaïs Heureaux et Charlotte Winter (costumes)




Et voilà: c’est parti pour la trente-neuvième édition du Festival de musique baroque de Sablé-sur-Sarthe! Dans un contexte de rigueur budgétaire accrue pour les collectivités territoriales, le festival se déroule pourtant de nouveau sur cinq jours et non sur quatre comme l'année dernière et réunit de nouveau des artistes de renom (Hervé Niquet et Le Concert Spirituel, Jordi Savall, Héloïse Gaillard, l’ensemble Zefiro, Christophe Rousset, Amandine Beyer entre autres) autour d’un public fidèle, pour moitié originaire de la région, pour moitié extérieur, venant y compris d’autres pays européens. Une des forces du festival consiste également à proposer à un public parfois néophyte des activités aux dimensions variées: concerts de durée relativement brève (une bonne heure) ou plus longue, conférences dispensées par les meilleurs spécialistes (Gilles Cantagrel, par exemple, doit en consacrer une à Telemann comme il le fit, il y a quelques semaines, dans le cadre de l’Itinéraire baroque en Périgord vert tandis que Luca Dupont-Spirio doit disserter sur «Le féminin dans l’Orient baroque»), déjeuners sur l’herbe dans le parc du château de Sablé en compagnie de certains artistes autour de paniers-repas, le festival se concluant comme toujours par un concert donné par les étudiants de l’Académie baroque internationale de Sablé après une semaine de travail sous la direction de professeurs invités comme le violoniste Patrick Cohën-Akenine ou la cantatrice Agnès Mellon.


Cette année, sous la direction artistique d’Alice Orange, épaulée par les personnels et bénévoles de l’association L’Entracte (qui a notamment en charge la gestion du centre culturel de Sablé), c’est l’Orient qui est à l’honneur. Thème choisi il y a un an, le dialogue entre l’Orient et la musique baroque d’une part, entre l’Orient et l’Occident d’autre part revêt cette année une tonalité particulière en raison d’un contexte international propre à exacerber les antagonismes et à opposer les cultures entre elles. C’est donc sous ce «patronage» que le public pourra écouter Les Indes galantes de Rameau mais aussi La Sultane de Couperin sans oublier quelques chants et musiques nées dans un des divers pays bordant la mer Méditerranée. Si la plupart des spectacles ont lieu au cœur du centre culturel de Sablé-sur-Sarthe (qui peut, selon la configuration de la salle, accueillir de 630 à 750 spectateurs), un grand nombre de concerts ont lieu dans plusieurs églises alentours, valorisant ainsi le patrimoine d’une région fort riche en la matière, de la basilique Notre-Dame-du-Chêne de Vion à l’église Saint-Sulpice d’Avoise en passant par exemple par l’église Saint-Philibert de Fontenay-sur-Vègre.



(© Sébastien Gauthier)


Miguel de Cervantes meurt à Madrid en avril 1616, laissant derrière lui deux ouvrages parus respectivement en 1605 et 1615 mais ayant un seul et même héros: Don Quichotte. Après un succès littéraire qui ne se démentira jamais, c’est la musique qui va s’emparer du mythe dès 1680 à Venise (Carlo Sajon compose un Il Don Chisciotte della Mancia sur un livret de Marco Morosini) jusqu’à Richard Strauss bien sûr, mais n’oublions pas pêle-mêle Massenet et de Falla, Courbois (en 1710) et Telemann, entre autres. Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) compose à son tour un ballet comique en trois actes sur un livret de Favart, qui fut représenté pour la première fois le 12 février 1743 à l’Académie royale de musique.


L’histoire totalement farfelue racontée par Boismortier ne pouvait que convenir au trio que Hervé Niquet forme avec Corinne et Gilles Benizio (plus connus sous leurs noms de scène de Shirley et Dino) et qui avait déjà été ébouriffant dans Le Roi Arthur de Purcell. Qu’on en juge! Un duc et une duchesse souhaitent se rire de Don Quichotte et de son fidèle Sancho Pança. Profitant de l’occasion de leur passage sur leurs terres, ils font croire à Don Quichotte, aidés en cela par leurs serviteurs, qu’il doit sauver une jeune femme en détresse, Altisidore, qui n’est autre que la duchesse grimée, celle-ci souhaitant par ailleurs remplacer la Dulcinée de Don Quichotte dans le cœur de ce dernier. On croisera donc pêle-mêle un voyage en cheval de bois, une reine du Japon, des stratagèmes imaginés par un Merlin de pacotille, un monstre, un nain qui d’un coup se métamorphose en géant, une paysanne qui assommera Don Quichotte d’un coup de saucisson jusqu’à ce que, épilogue loufoque au possible, Don Quichotte soit couronné roi du Japon et Sancho Pança reçoive le Royaume du Congo. Les héros, bien que fatigués par tant d’aventures, sont bel et bien des héros!


Comme on avait eu l’occasion de le souligner dans leur précédente mise en scène du Roi Arthur, Corinne et Gilles Benizio sont parvenus à effectuer une réalisation qui alterne avec une grande justesse la loufoquerie (génial moment lorsque Corinne Benizio apparaît en cantatrice espagnole accompagnée par Hervé Niquet, déguisé en toréador et jouant des castagnettes comme personne), l’absurdité de certaines scènes (Gilles Benizio, cette fois-ci, balayant la scène au moment des changements de décors et «plaignant les Indiens» lorsqu’il doit essayer de rassembler des plumes avec son balai alors qu’elles volettent en tous sens), la poésie de certaines autres (incroyable voyage de Don Quichotte et Sancho Pança en cheval de bois alors que les serviteurs du duc miment les canards sauvages, la neige, le vent...), la simple beauté visuelle enfin de quelques-unes (magnifique lever de soleil aux couleurs chatoyantes). Ajoutons ici que les danses constituent d’excellents intermèdes au sein desquels brillent tout spécialement les danseurs Rodolphe Fouillot et Camille Lelu. Comme seule la musique de Boismortier nous est parvenue, il a fallu reconstituer l’intrigue annexe: là encore, totale réussite grâce à des dialogues ciselés dans une langue «dix-huitiémiste» de haute tenue, les scènes s’enchaînant avec une logique implacable. Bien évidemment, la réussite de l’ensemble doit beaucoup à Hervé Niquet qui, avec ses musiciens, s’amuse comme un petit fou: de son entrée accoutré en Don Quichotte à sa chansonnette sur Le chemin de fer de Saint-Quentin, de ses échanges savoureux avec l’orchestre à ses interpellations du duc, le chef du Concert Spirituel (ensemble qui fête cette année ses trente ans et dont le tout premier enregistrement, disponible chez Naxos, était justement consacré à Don Quichotte chez la Duchesse) aime rire et faire rire.


Il en est de même donc des musiciens du Concert Spirituel qui, pour l’occasion, étaient en effectifs limités (neuf musiciens et autant de choristes, parfois requis comme solistes pour tel ou tel passage). Menaçant de quitter la fosse d’orchestre à l’annonce de jouer Don Quichotte (l’œuvre ayant il est vrai plusieurs fois porté malheur durant l’histoire...), véritable partenaire du chef lors de ses mouvements d’humeur, il soutient sans cesse la partition: passons rapidement sur une justesse parfois capricieuse du premier violon pour davantage nous concentrer sur la dextérité des deux hautboïstes (jouant également de la flûte lorsque nécessaire) et sur l’entrain d’Isabelle Cornélis aux percussions. Pour une fois, la direction d’Hervé Niquet ne s’avère pas trop rapide et le geste ménage de très beaux moments (la chaconne finale, la plupart des chœurs...): une réussite!


Quant aux chanteurs, ils allient également qualités vocales et sens de la comédie. A ce jeu-là, Chantal Santon-Jeffery est une véritable bête de scène! Alternant caractère outragé et véhémence emplie de jalousie, capable d’être une séductrice autant que d’être une vraie mégère, elle impose sa présence avec maestria, son chant étant servi au surplus par un timbre très clair et des facilités techniques évidentes. Si l’on aurait parfois apprécié davantage d’intelligibilité dans sa prononciation, ce n’est certes pas le défaut que l’on pourra adresser à Marc Labonnette, qui fut éclatant dans le personnage de Sancho Pança. Truculent, bonne pâte face à un maître des plus capricieux, serviable comme pas un, il offrit au public quelques-uns des plus beaux airs de l’opéra (l’«Air pour les pâtres» à la scène 4 de l’acte I ou l’air «Tel maître, tel valet» à la scène 5 de l’acte III). Excellente prestation également d’Emiliano Gonzalez Toro, qui incarne un Don Quichotte moins ridicule que touchant, dont la voix agile nous offre de très beaux moments à l’instar de l’air «Séjour funeste où règne la terreur» (acte II, scène 1). Si la prestation de Marie-Pierre Wattiez doit rapidement se faire oublier (voix étriquée à la projection quasi inexistante), on saluera bien bas en revanche l’excellent Virgile Ancely qui, d’une belle voix de basse, restera un Merlin et surtout un traducteur de tout premier ordre!


Pour ceux qui auraient raté ce spectacle, sachez qu’il est sorti en DVD (chez Alpha) à l’instar du Roi Arthur et que, même si le précédent opus recélait sans doute davantage de finesse et d’inventivité, mérite sans grand conteste de figurer à ses côtés.


Le site du festival de Sablé-sur-Sarthe
Le site du Concert Spirituel
Le site de Shirley et Dino
Le site de Marc Labonnette
Le site de Chantal Santon-Jeffery
Le site de Marie-Pierre Wattiez



Sébastien Gauthier

 

 

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