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Les pieds sur terre Gent Opera Vlaanderen 06/20/2017 - et 22, 24, 28, 30 juin, 2* juillet 2017 Nikolai Rimski-Korsakov: Sadko Zurab Zurabishvili (Sadko), Betsy Horne (Volchova), Anatoli Kotcherga (Le roi de la mer), Victoria Yarovaya (Lioubava), Raehann Bryce-Davis (Niéjata), Michael J. Scott (Sopiel), Tijl Faveyts (Le Marchand varègue), Adam Smith (Le Marchand indien), Paven Yankovski (Le Marchand vénitien, L’Apparition), Evgeny Solodovnikov (Doeda), Stephan Adriaens (Nazaritch), Patrick Cromheeke (Zinovitch)
Koor Opera Vlaanderen, Jan Schweiger (chef de chœur), Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen, Dmitri Jurowski (direction)
Daniel Kramer (mise en scène), Annette Murschetz (décors), Constance Hoffman (costumes), Charles Balfour (lumières)
(© Annemie Augustijns)
Les opéras de Rimski-Korsakov peinent à percer en Europe occidentale, malgré de belles productions applaudies récemment, comme La Fille de neige à l’Opéra de Paris et Le Coq d’or à la Monnaie. Ils puisent, pour la plupart, dans un substrat littéraire et légendaire profondément russe, ce qui explique, du moins en partie, leur apparition sporadique à l’affiche.
Cinq ans après Carmen, Daniel Kramer revient à l’Opéra des Flandres pour Sadko (1898). Portée par un concept fort, sa mise en scène reflète la politique artistique de la maison. Cette lecture radicale supprime ainsi toute référence à la Russie, ainsi que les dimensions légendaire et maritime de l’ouvrage. La terre constitue, d’ailleurs, la matière principale de cette scénographie particulièrement sombre, marquée par l’utilisation de la vidéo, qui représente le plus souvent des images renvoyant aux dernières décennies, ce que les costumes illustrent également.
Virtuose dans la gestion des ensembles, la direction d’acteurs échoue toutefois à conférer une véritable épaisseur aux personnages, à l’exception du principal, encore qu’il paraisse mal défini, sorte d’ancienne vedette de la chanson, devenue ventripotente. La mise en scène n’évite pas non plus les poncifs les plus éculés, comme cet engrenage de beuverie et d’humiliation, un grand classique sur la scène flamande. Les choristes semblent aussi surgir à un moment de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, revu avec plaisir il y a an, alors qu’ils reviennent, en fait, de vacances, selon Kramer, plus précisément de Venise, à en croire la vidéo. Cette approche pessimiste, voire misanthrope, paraît confuse et finalement peu originale, malgré la modernité de son aspect. Discutable, mais non dépourvu d’intérêt, ce spectacle ne facilite pas vraiment la compréhension d’un ouvrage morcelé dans sa narration comme Sadko. Avec cette production, l’Opéra des Flandres poursuit sa politique audacieuse, quitte à déplaire, mais cela vaut mieux que la complaisance, dans le seul but de remplir une salle.
Endossant leur rôle pour la première fois, les chanteurs valent le déplacement. Zurab Zurabishvili remplit vaillamment la lourde tâche d’incarner Sadko, un personnage omniprésent. Peu charismatique, ce qui convient, de toute façon, dans cette mise en scène, le ténor géorgien, d’un lyrisme souverain, séduit par la consistance du timbre et la rigueur du chant. L’Opéra des Flandres a le don de dénicher des chanteurs peu connus mais compétents, comme Betsy Horne, distribuée en Volchova. La soprano montre sa capacité à caractériser son rôle, mais aussi à épouser de manière confondante les caractéristiques du chant russe, sur le plan de la couleur et de l’inflexion. Victoria Yarovaya la surpasse toutefois sur ce point, la mezzo-soprano répondant pleinement aux exigences de Lioubava, tout en affichant, en plus d’un timbre riche, une agilité propre aux interprètes rompus à la discipline du chant rossinien.
Puissance, phrasé sommaire, timbre grisâtre, Anatoli Kotcherga marque trop peu de son empreinte le Roi de la mer. Membre de la troupe des jeunes, Raehann Bryce-Davis achève admirablement sa saison en Niéjata, qui ressemble ici à une artiste de music-hall : grâce à sa maîtrise et à sa voix, ample et veloutée, la chanteuse américaine se profile pour des emplois de plus grande envergure. Les autres rôles, moins importants, sont correctement tenus. La mise en scène exige beaucoup des choristes, autant sollicités que Sadko. Sans grande surprise, ils s’affirment grâce à leur présence et se montrent d’une cohésion et d’une finition sans faille, devenant ainsi un élément majeur de cette production.
L’orchestre se surpasse, une fois de plus, sous la direction de Dmitri Jurowski : vif et précis, toujours très évocateur, et affichant beaucoup de plénitude, il révèle, par ses sonorités splendides, les saveurs prononcées de cette musique. L’Opéra des Flandres feraient bien maintenant de monter Kitège, pas nécessairement avec ce metteur en scène, mais avec cet excellent chef, qui reviendra dans un an pour Le Joueur.
Sébastien Foucart
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