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Danse post-soviétique Amsterdam Nationale Opera & Ballet 06/17/2017 - et 22, 23*, 25, 28, 29, 30 juin Shostakovich Trilogy Alexeï Ratmansky (chorégraphie), Dimitri Chostakovitch (musique)
Michael Mouratch (piano), Erwin ter Bogt (trompette), Het Balletorkest, Matthew Rowe (direction musicale)
Het Nationale Ballet
Keso Dekker (costumes), George Tsypin (décors), Jennifer Tipton (lumières)
(© Hans Gerritsen)
Après avoir été donné en première puis repris aux Etats-Unis, ce spectacle comportant trois chorégraphies d’Alexeï Ratmansky sur des musiques de Dimitri Chostakovitch, commande conjointe de l’American Ballet Theater de New York et du San Francisco Ballet, créé au Metropolitan Opera House en mai 2013, est présenté pour la première fois en Europe à Amsterdam.
L’intérêt majeur de ce triptyque dont les chorégraphies sont réglées sur des musiques appartenant à trois périodes créatrices bien distinctes de Chostakovitch est de voir comment le chorégraphe né russe Alexeï Ratmansky, en résidence à l’American Ballet Theater depuis 2009, entend la musique de son compatriote et aîné, dont il a onze chorégraphies à son actif. Très bien si l’on en juge par la diversité des trois pièces présentées qui, sous couvert d’abstraction, racontent toutes une histoire liée à l’œuvre, à l’époque et au compositeur et qui, dans leur écriture mêlant originalement l’influence du style académique soviétique (on pense souvent à Grigorovitch, à Spartacus et L’Age d’or) et une influence américaine (Robbins n’est jamais loin dans les mouvements allègres), suivent toujours au plus près l’écriture musicale.
On peut voir passer entre les mailles de cette abstraction l’évocation de la vie sous Staline: ordre, discipline, joie comptée, instabilité. Le vocabulaire de Ratmansky tord le cou au style classique académique et se caractérise par une grande virtuosité, l’invention de figures vraiment originales tout comme certains portés très acrobatiques. L’ensemble est dense, toujours très sportif, d’une grande clarté d’écriture et si ces pièces convoquent peu de danseurs, une part aussi importante de difficultés est réservée au corps de ballet. Les pas de deux que renferme chaque pièce sont admirablement conçus et mettent en valeur les étoiles. Tous les solistes et danseurs du corps de ballet du Ballet nationale ont réalisé une performance technique remarquable pour cette création européenne.
Neuvième Symphonie, tout comme le prétexte de la commande de cette pièce pour célébrer la victoire sur l’Allemagne nazie et dont le résultat déplut fortement aux autorités, est héroïque. C’est des trois la pièce qui a le plus de cohésion dans ses ensembles et ou l’influence américaine se fait le plus sentir par des bouffées de folie au milieu de la rigueur du propos.
La plus déroutante est certainement Chamber Symphony, réglée sur l’arrangement réalisé pour cordes seules par Rudolf Barshai du Huitième Quatuor, écrit à l’époque la plus suicidaire du compositeur. Le propos semble autobiographique et convoque les trois femmes de la vie de Chostakovitch, telles trois muses, et le danseur principal (James Stout particulièrement inspiré) évoque l’aspect torturé de cet artiste sur un fond de scène qui représente des profils.
Avec le Premier Concerto pour piano et sa trompette obligato (excellent Erwin ter Bogt), la soirée se termine dans un apparent optimisme. Cependant, sur un fond gris, pendent des cintres des mobiles représentant les attributs désintégrés du communisme. Les scénographies sont signées George Tsypin, qui a réalisé en 2014 la scénographie des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi. Les étonnants costumes de Keso Dekker sont à double face, gris comme le fond du décor et rouges comme les mobiles. On peut y voir une allégorie de la jeune URSS et à ses cosmonautes, sportifs, grands défilés et autres gloires de l’ère soviétique au comble de son optimisme. C’est certainement des trois la pièce la plus virtuose, où le corps de ballet défie en permanence techniquement les solistes, final idéal pour un programme de haute tenue artistique, notamment par sa réalisation musicale avec le Balletorkest dirigé par Matthew Rowe.
Olivier Brunel
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