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Génie sous haute sécurité

Paris
Théâtre national de Chaillot
06/08/2017 -  et 9, 10, 11, 13*, 14, 15, 16 juin 2017
Last Work
Ohad Naharin (chorégraphie), Grischa Lichtenberger (musique originale), Sagat, Hysterics, MPIA3, Monkey, Luminox, Lullabies-of-Europe, Clara Rockmore (musique)
Batsheva Dance Company
Avi Yona Bueno (Bambi) (lumières), Maxim Warratt (son), Zohar Shoef (scénographie), Eri Nakamura (costumes)


(© Gadi Dogon)


On n’avait pas vu à Paris la Batsheva Dance Company d’Ohad Naharin depuis janvier 2016, quand elle était venue danser au Palais Garnier Three, une de ses plus anciennes chorégraphies, dans une atmosphère électrique en raison des manifestations pro-palestiniennes et anti-israéliennes, qui avaient marqué une première sous haute sécurité et coïncidant avec l’installation des portiques de sécurité à l’entrée du Palais Garnier. Ces manifestations sont parfaitement injustes car Ohad Naharin critique beaucoup la politique actuelle du gouvernement israélien. Mais la compagnie cinquantenaire étant emblématique de la culture israélienne, chacun de ses déplacements s’accompagne désormais de ces manifestations.


C’est donc avec un dispositif inhabituel à Chaillot, cars de police et périmètre de sécurité à l’entrée, que se sont déroulées les représentations de Last Work, présentée pour la première fois à Paris (après Montpellier où elle a été créée en 2015), aussi dans une atmosphère survoltée, la salle étant archipleine et des spectateurs cherchant des places à l’entrée, ce qui est, compte tenu de la jauge de ce théâtre, une chose plutôt rare et toujours rassurante pour l’avenir de la danse contemporaine.


Entre-temps est sorti sur les écrans parisiens, au Balzac plus précisément, le film documentaire de Tomer Heymann consacré à Naharin et qui a remporté un immense succès en Israël. Mr. Gaga sur les pas d’Ohad Naharin (du nom de la méthode qu’il a créée fondée sur la liberté gestuelle, elle-même nommée d’après la première parole qu’il ait prononcée!) est un étonnant portrait de cet homme de 65 ans à la vitalité aussi étonnante que celle de la compagnie dont il est le directeur artistique depuis vingt-cinq ans, fondée en 1964 par une française, Bethsabée de Rothschild (Batsheva étant le nom hébraïque de la baronne) et qui a acquis en un demi-siècle une réputation mondiale.


Ohad Naharin possède la qualité de toujours se renouveler tout en restant fidèle à son esthétique. Et d’étonner, car pendant le premier tiers de cette grande heure que l’on ne voit pas passer, on se dit que pour une fois, on est dans la poésie pure, qu’il n’y a aucun propos politique comme cela a été le cas avec des spectacles comme Naharin’s Virus. Le plateau est vide et bordé des deux côtés de panneaux qui permettent l’entrée et la sortie des dix sept danseurs. La musique, dont on sait qu’elle est du chorégraphe sous un pseudonyme qui ne trompe plus personne, est plutôt gentiment groovy. Au fond de la scène, sur un couloir qui escamote habillement un tapis roulant, une femme en robe bleue court l’heure durant sans faillir. Vers quel abîme court-elle? On comprend vite que c’est vers le même que le monde d’aujourd’hui, car très vite le propos devient moins abstrait, des personnages se concrétisent, une mitraillette apparaît, ainsi qu’un drapeau blanc, une tente militaire stylisée et des costumes qui évoquent autant des prêtres que des victimes. Puis au dernier tableau, un danseur enserre de ruban adhésif l’ensemble des danseurs et la coureuse brandit à son tour le drapeau banc. Comprenne qui pourra, Naharin ne donne aucune clef (juste une piste: «des bébés, des ballerines et des bourreaux»...) et c’est mieux ainsi. Car l’important, c’est la danse, et elle est ici à un tel niveau de liberté, de virtuosité, pas des figures, mais de la fascinante liberté des articulations, des corps, la méthode Gaga semblant arrivée à l’acmé de sa raison d’être. Une fois de plus on ressort bluffé et persuadé d’avoir assisté à un spectacle qui fera avancer le paysage chorégraphique et donnera pour longtemps à réfléchir. «Si tout le monde dansait, le monde serait meilleur» (Naharin) paraît s’imposer comme la prophétie d’un génie sous haute sécurité.



Olivier Brunel

 

 

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