Back
Lumières italiennes Paris Philharmonie 05/10/2017 - et 2 (Zürich), 5 (Luzern), 7 (Lugano), 9 (Amsterdam), 11 (London), 13 (Essen) mai 2017 Gioacchino Rossini : Le Siège de Corinthe: Ouverture
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Concerto pour piano n° 1 en si bémol mineur, opus 23
Ottorino Respighi : Fontane di Roma, P. 106 – Pini di Roma, P. 141 Yuja Wang (piano)
Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia - Roma, Sir Antonio Pappano (direction)
A. Pappano (© Riccardo Musacchio)
La salle Pierre Boulez était complète ce soir pour accueillir l’excellent, et malheureusement trop rare, Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome sous la baguette de Sir Antonio Pappano, son directeur musical depuis 2005. Dans une programmation fondée sur le classique triptyque ouverture-concerto-œuvre symphonique, commençons donc par ce qui fut le moins convaincant et, avouons-le tout de suite, commençons par ce qui fâche.
Car, même si une partie du public était sans aucun doute venue pour elle, Yuja Wang aura encore une fois fait son show qui, concert après concert, met encore davantage en lumière le côté artificiel de cette musicienne à la technique néanmoins époustouflante. Car on ne peut guère lui adresser de grands reproches sur ce plan. Acclamée lors de son entrée en scène comme une star, enfermée dans une robe turquoise au dos nu plongeant qui lui pose d’ailleurs quelques difficultés pour marcher, montée sur des talons aiguilles d’une taille plus qu’appréciable, la jeune pianiste se lance dans le monumental Premier Concerto de Tchaïkovski avec la fougue qu’on lui connaît: les notes s’enfilent avec une facilité évidente, les arpèges font figure de broutille, les mains s’entrecroisent avec une vélocité qui en arrive même à fatiguer le regard... Dans le deuxième mouvement (Andantino semplice), Yuja Wang frappe par son respect de la partition et, sans trop d’affectation, joue avec beaucoup de probité cette merveilleuse page (superbe dialogue avec la flûte puis le hautbois), avant qu’elle n’empoigne à une vitesse effrénée l’Allegro con fuoco conclusif. Le toucher redevient percussif (notamment une main gauche qui prend plaisir à faire sonner voire gronder les graves) et la démonstration technique, comme cela a avait été le cas dans le premier mouvement, prime sur toute musicalité car, même si les nuances sont bien respectées (la tendance à jouer fort ne l’empêchant pas de délivrer des pianissimi d’une finesse extraordinaire), on se demande bien vite où est l’émotion. On se demande même où se cache l’interprétation car la jeune soliste aborde la partition, qu’elle engloutit en une demi-heure sans coup férir, avec un jeu des plus lisses. Mais le pire restait à venir avec les trois bis que Yuja Wang offrit à un public majoritairement conquis, égrainant donc les Variations sur un thème de Carmen de Vladimir Horowitz et, comme on l’avait déjà entendu lors de sa venue avec le Philharmonique de Vienne il y a quelques mois, «La Mort d’Orphée» (tirée d’Orphée et Eurydice de Gluck) et la «Marche turque» de Mozart dans l’arrangement effectué par Arcadi Volodos. Là encore, hormis Gluck bien sûr, seule la démonstration technique l’emporte: pas sûr que la musique y gagne...
Heureusement, la musique, on l’a eue grâce à un Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile au sommet de sa forme. Si l’accompagnement du concerto fut très bon (en dépit de quelques légers décalages avec la pianiste), la première impression fut d’emblée excellente grâce à la rare Ouverture du Siège de Corinthe de Rossini. Il n’y a pas à dire: tant l’orchestre que le chef ont cette musique dans le sang! Les premiers accords sont pleins et tranchants à la fois, d’une netteté absolue, ouvrant la voie à une partition où l’orchestre fit preuve de toute sa dextérité (les violons!), Antonio Pappano transmettant à chacun sa folle énergie: quelle entrée en matière!
Les Fontaines de Rome et Les Pins de Rome de Respighi ne sont pas fréquemment programmées même si le public parisien put, ces dernières années, les entendre notamment joués par l’Orchestre de Paris en juin 2014 sous la direction de Gianandrea Noseda ou l’Orchestre national de France en septembre 2013 sous la baguette de Daniele Gatti. Antonio Pappano en livra ce soir une version technicolor où l’on put percevoir sans difficulté toutes les subtilités d’une partition foisonnante. Hautbois et célesta rêveurs dans «La Fontaine de Valle Giulia à l’aube», cors rougeoyants et cordes stridentes à souhait dans «La Fontaine du Triton le matin», flûte enjôleuse dans «La Fontaine de la Villa Médicis au coucher du soleil»: on n’en attendait pas moins de la part d’un orchestre qui créa Les Fontaines de Rome en mars 1917! La réussite ne fut pas moindre dans Les Pins de Rome (poème symphonique également créé en décembre 1924 par l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile), où le clarinettiste Alessandro Carbonare se distingua par la suavité de ses sonorités au sein de la troisième section («Les Pins du Janicule»). Pour le reste, Sir Antonio Pappano et ses musiciens s’amusent, sans négliger toute la finesse de l’orchestration: la délicate noirceur de la deuxième section («Pins près d’une catacombe») et l’éclat souverain de la fin de la quatrième («Les Pins de la voie Appienne»), renforcée pour l’occasion par trois groupes de cuivres disposés en haut des premiers balcons, soulevèrent à juste titre l’enthousiasme du public.
Sir Antonio Pappano et son orchestre offrirent deux bis – une Valse triste de Sibelius un rien trop sentimentale et, comme il avait déjà eu l’occasion de le faire, la dernière partie d’une Ouverture de Guillaume Tell de Rossini un peu trop bruyante – à des spectateurs qui, n’en doutons pas, feront de nouveau honneur à des artistes que l’on espère revoir prochainement.
Le site de Yuja Wang
Le site de l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome
Sébastien Gauthier
|