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Sept créations pour quarante bougies Paris Cité de la musique 03/30/2017 - Chaya Czernowin : On the Face of the Deep (création)
Marko Nikodijevic : dies secundus (création)
Franck Bedrossian : Vayehi erev vayehi boker (création)
Anna Thorvaldsdóttir : Illumine (création)
Joan Magrané Figuera : Marines i boscatges (création)
Stefano Gervasoni : Eufaunique (création)
Mark Andre : riss 1 (création) Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)
M. Pintscher (© Jean Radel)
L’Ensemble intercontemporain (EIC) soufflait ses quarante bougies en beauté à travers une série de trois concerts: «A livres ouverts» (17 mars), «Hommage à Pierre Boulez» (18 mars) puis – cerise sur le gâteau – «Genesis», créations mondiales de sept œuvres pour ensemble sur les sept jours de la Création selon la Genèse. A l’origine de cette initiative, Matthias Pintscher «a demandé aux sept compositeurs leurs préférences quant au jour de la Genèse dont ils souhaitaient s’emparer» avec, au cahier des charges, deux contraintes: l’effectif standard de l’EIC et le rôle pivot joué par le mi bémol. «J’ai constaté que je ne suis pas le seul parmi les collègues pour qui cette note semble dégager une aura de la Création avec un grand C.» (Pintscher). Ainsi édifié, l’auditeur ne peut qu’être sensible au style de chacun des compositeurs quand bien même le projet a pour corollaire le gommage des individualités (à moins qu’il ne les révèle avec plus d’éclat ?): instrumentarium commun, omniprésence du mi bémol, pièces enchaînées sans applaudissements.
En écrivant le Quatrième Jour pour octuor à cordes, Anna Thorvaldsdóttir (née en 1977) impose aussitôt une texture singulière qu’elle relie aux «luminosités changeantes» du jour et de la nuit. On en retient avant tout le climat expressionniste, les éclairages conférés tour à tour par la polarité du mi bémol et les accords classés qui s’invitent çà et là. Enigmatique et un rien frustrant, à l’image de The Unanswered Question de Charles Ives auquel manquerait le solo de trompette. Avant cela, «les ténèbres couvraient la face de l’abîme» ont trouvé un écho dans On the Face of the Deep de Chaya Czernowin (née en 1957) et ses balbutiements oppressants. La Création est moins une profusion ascensionnelle qu’une conquête éprouvante sur le chaos. On aurait aimé davantage de mystère dans ce Premier Jour mais la compositrice ne l’entend pas de cette oreille (qu’elle semble avoir relié à un stéthoscope), qui convoque roulements de caisse claire et flatulences des vents dans un constant soufflet crescendo-decrescendo.
dies secundus semble jouer à plaisir avec notre mémoire. Si Marko Nikodijevic (né en 1980) affirme recourir au langage codé du Moyen Age, on y entend surtout une toccata assez jubilatoire où Ligeti (celui du Concerto de chambre) tend la main à Guillaume de Machaut tandis que la harpe égrène sans complexe ses glissandos impressionnistes. Le mi bémol, théâtralement exposé à l’unisson chez Nikodijevic, est moins perceptible dans Vayehi erev vayehi boker de Franck Bedrossian (né en 1971), dont le saturationnisme s’accommode du récit du Troisième Jour («distinction entre la terre ferme et le végétal»). Riches en harmoniques impurs, les textures se font plus astringentes à proportion de l’énergie investie par les musiciens dans l’émission du son. Les deux cadences dévolues à la clarinette contrebasse (excellent Alain Billard), engorgée dans l’extrême aigu, ne s’oublient pas de si tôt!
Marines i boscatges de Joan Magrané Figuera (né en 1988) renoue avec le madrigalisme de la Renaissance dans ce qui apparaît comme un colloque harmonieux – malgré un début très âpre – entre la faune et la flore. Pluies cristallines (harpe et célesta) et appels d’oiseaux (hululements). Est-ce par crainte de l’anecdote que Stefano Gervasoni (né en 1962) s’affranchit quant à lui de toute illustration? Eufaunique tranche sur les autres pièces par son artisanat contrapuntique, sa pulsation incoercible, la densité des textures. Bravo au corniste (Jens McManama, pilier de l’EIC) pour les sonorités irréelles qu’il tire de son instrument.
riss1 de Mark Andre (né en 1964), après les chuchotements liminaires, «évoque une soudaine déchirure/fissure (riss) dans le ciel» par le biais d’incantations magiques à quelques déités. Plutôt que la fugue jazzy avec laquelle Darius Milhaud terminait sa Création du monde (1923), le cycle «Genesis» se referme en douceur avec le souffle-pneuma auquel, dans l’Antiquité, certains médecins attribuaient la cause de la vie. Le futur nous dira comment chaque pièce supporte d’être jouée isolément; mais un franc succès salue ce soir l’intégralité du cycle ainsi que l’interprétation engagée qu’en ont donné Matthias Pintscher et les musiciens de l’EIC... à qui l’on souhaite un joyeux anniversaire et un futur radieux!
Jérémie Bigorie
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