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Aïda et la création contemporaine

Toulouse
Halle aux Grains
06/21/2001 -  
Juan José Eslava : Concerto pour harpe, quatuor et orchestre
Michaël Gavazzi : Cantos N°5 (XIV-XVII) rouge
Fabien Lévy : Hérédo-Ribotes pour alto et orchestre
Jean-Denis Michat : Spiri
Ludwig van Beethoven : Symphonie N°5

Orchestre National du Capitole : Fayçal Karoui (direction), Michel Plasson (direction : Beethoven)

Aïda n’est pas, à Toulouse que, l’héroïne éthiopienne d’un des plus beaux opéras de Verdi, c’est aussi l’Association des InDustriels et entreprises Amis de l’orchestre du Capitole. Ces entreprises toulousaines, et non des moindres -Airbus, Aérospatiale, Alcatel, Banque Populaire, Matra…- participent au financement des tournées de l’orchestre et de certains de ses enregistrements. Depuis quelques années, l’action d’Aida s’est également étendue aux jeunes solistes, un partenariat avec les Conservatoires de Lyon, Paris et Toulouse permettant d’accueillir chaque année 15 jeunes musiciens durant trois semaines au sein de l’orchestre du Capitole, et aux jeunes chefs, Fayçal Karoui ayant pu ainsi bénéficier d’une bourse d’étude auprès de Michel Plasson avant de devenir son assistant.

Une étape supplémentaire a été franchie cette année, avec la création d’une bourse “jeune compositeur” permettant à des musiciens issus du Conservatoire de Paris d’écrire une œuvre créée ensuite par l’Orchestre du Capitole.
Les quatre compositeurs retenus devaient obéir à certaines contraintes : durée limitée à dix minutes, effectif réduit à une cinquantaine de musiciens, obligation de mettre en valeur un ou plusieurs solistes de l’orchestre… Il semblerait que ces contraintes aient plus stimulé que bridé l’imagination des musiciens, du moins à ce qu’ils en ont dit durant la conférence de presse…

On peut cependant regretter que la création de ces œuvres ait été limitée à un concert réservé aux membres de l’association Aida. Même si l’on comprend que ceux-ci aient voulu savoir où passait leur argent, il aurait pourtant été intéressant pour les compositeurs de se confronter au public payant habituel de l’orchestre, certainement plus mélomane et exigeant. Faire coïncider la date de ce concert avec la Fête de la Musique n’était pas non plus très heureux, l’audition ayant été quelque peu parasitée par les hordes braillardes des excités de la guitare saturée qui officiaient à l’extérieur de la salle, et la presse nationale, très sollicitée en ces temps d’abondance décibélique, ne s’étant guère déplacée (pas du tout déplacée, en fait). D’autre part, l’idée de faire présenter le concert par Michel Plasson, tout à fait bonne en soi, n’était pourtant pas excellente du point de vue de la communication, le chef ayant pris un malin plaisir à démonter à demi-mots les pièces avant même qu’elles ne soient jouées, ce qui n’était pas toujours immérité mais tout de même pas très fair-play.
Mais la diffusion du concert par Radio Classique en septembre permettra sûrement d’élargir l’audience de ces œuvres et de nuancer -ou de renforcer- les opinions.

Le compositeur espagnol Juan José Eslava, né en 1970, a commencé par étudier le piano à Madrid avant de décrocher le prix d’écriture, de composition, d’orchestration et d’analyse au Conservatoire de Paris, où il a étudié avec E. Nunes, M. A. Dalbavie et M. Levinas.
Son Concerto pour harpe, tout en ondoiements aquatiques dans une atmosphère feutrée, peut évoquer par moments un debussysme vaguement moderniste, même si l’on est très loin des Danses sacrées et profanes. Cependant, cette musique agréablement vague, pas dérangeante le moindre, semble n’avoir pas déplu au public, qui s’attendait certainement à bien pire d’une œuvre annoncée comme “difficile”.

Difficile d’accès, Cantos N°5 de Michaël Gavazzi l’était sans aucun doute. Après des études à Toulouse avec, entre autres, Bertrand Dubedout -dont vous avez déjà pu lire une interview dans ces mêmes pages-, ce jeune toulousain né en 1970 entre au Conservatoire de Paris dans les classes d’Alain Bancquart puis d’Emmanuel Nunes.
Cherchant sans doute une correspondance musicale avec la lithographie de Barnett Newmann qui donne son titre à l’œuvre, Michaël Gavazzi étale de grande tâches de sonorités crues dans un discours éclaté. La saturation sonore étouffante qui naît de cet empilage de sons aboutit à une ambiance tendue, mais sans que ce flot musical paraisse cependant avoir une structure dramatique bien marquée. Si l’effet sonore n’est pas en soi inintéressant, cette absence de structure perceptible donne une impression de confusion lassante sur la durée. On peut cependant être curieux d’entre une nouvelle œuvre de ce compositeur où il aurait dompté sa propension à la prolixité.

L’aîné du groupe, Fabien Lévy, né en 1968, a suivi de front des études scientifiques (DEA à l’ENS Ulm) et musicales (avec Levinas, Grisey…). Dégageant un ennui atterrant et quasi-hypnotique, ses Hérédo-ribotes sont un exemple pétrifiant de caricature de musique contemporaine à faire fuir les publics les mieux disposés. On peut d’ailleurs signaler spécialement l’exploit de l’excellent altiste Domingo Mujica, qui s’est vaillamment investi pour défendre “ça” mais n’a pas réussi l’impossible, nous y intéresser.

Jean-Denis Michat, né lui en 1971, saxophoniste de formation et professeur au Conservatoire de Paris, semble avoir une carrière plus solidement tracée puisque ses œuvres commencent à être éditées, entre autres, par Lemoine.
Spiri pour hautbois et orchestre illustre la réflexion du compositeur sur la forme concertante et ses archétypes. Après une ouverture menaçante, sur de sourds grondements traversés d’éclairs -on est en pleine musique pour Série Noire-, débute le thème mélodique du hautbois, pastiche de thème classique, “folklorique” selon le compositeur (ah bon?), gaiement rythmique et gentiment grinçant. Peu à peu, cette allégresse forcée se dérègle et se désagrège de façon obsédante, le rythme s’emballe jusqu’à une grande cassure. Après une période d’attente suspendue, un thème de six notes répétées, né du précédent, apparaît doucement, gagné peu à peu par le bruissement de l’orchestre entier. Après le retour du rythme frénétique initial, à la mélodie déstructurée, l’œuvre s’achève sur de grands accords abrupts.
Certainement la pièce la plus intéressante du lot, et sans doute la plus fortement structurée, très accessible sans pourtant être “facile”, Spiri a remporté un assez vif succès auprès du public.

On doit saluer, pour toutes les œuvres présentées, l’investissement des musiciens de l’orchestre du Capitole, qui ont visiblement cru au projet et ont pris leur mission très au sérieux malgré des conditions de répétition guère optimale, ainsi que la précision et l’enthousiasme de Fayçal Karoui, chef décidément plus que prometteur.

Cerise sur le gâteau pour des auditeurs certainement épuisés après une première partie exigeante, Michel Plasson a ensuite proposé un survol distrait de la Cinquième symphonie de Beethoven.

Comme on pouvait s’y attendre, les œuvres présentées sont aussi diverses que possible dans leurs styles et leur réussite -même s’il est difficile de les juger dès la première audition. Mais quelque idée que l’on puisse avoir de leur valeur, il est incontestable que l’action d’Aïda vers les jeunes compositeurs est une entreprise intelligente et salutaire, qui permettra, on l’espère, d’amener le public toulousain à la musique contemporaine. On doit d’ailleurs remarquer que la prochaine saison de l’orchestre du Capitole semble s’ouvrir davantage à la musique du XX° siècle, avec la présence au programme de Cristobal Halffter, John Adams, Giya Kancheli, Henri Dutilleux, Toru Takemitsu ou Aubert Lemeland.

Puissent les prochaines éditions de la “Bourse jeune compositeur” nous présenter de nouvelles découvertes, dans des conditions que l’on espère un peu plus calmes.


Laurent Marty

 

 

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