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Redécouvrir Jérusalem

Liège
Opéra royal de Wallonie
03/17/2017 -  et 19*, 21, 23, 25 mars 2017
Giuseppe Verdi: Jérusalem
Marc Laho (Gaston), Elaine Alvarez (Hélène), Roberto Scandiuzzi (Roger), Ivan Thirion (Comte de Toulouse), Pietro Picone (Raymond), Natacha Kowalski (Isaure), Patrick Delcour (Adémar de Montheil), Victor Cousu (Un soldat), Benoît Delvaux (Un héraut), Alexeï Gorbatchev (Emir de Ramla), Xavier Petithan (Un officier)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Pierre Iodice (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Speranza Scappucci (direction)
Stefano Mazzonis di Pralafera (mise en scène), Jean-Guy Lecat (décors), Fernand Ruiz (costumes), Franco Marri (lumières)


(© Lorraine Wauters/Opéra royal de Wallonie)


La rareté de cette saison à l’Opéra royal de Wallonie ? Sans aucun doute Jérusalem (1847), qui semble n’avoir été monté qu’une fois en Belgique, en 1850. Rarement représenté et enregistré, cet ouvrage méconnu occupe une position particulière dans le répertoire verdien. Hâtivement considéré par méconnaissance comme la version française des Lombards (1843), cet ouvrage, doté d’une identité propre, repose sur un nouveau livret par les mêmes auteurs que celui de La Favorite. L’intrigue a donc été repensée, resserrée et décontextualisée, la partition remodelée et complétée, notamment avec un nouveau prélude, l’orchestration adaptée aux inflexions de la langue française, entre autres remaniements.


Les spectateurs de l’Académie royale de musique entendirent donc une œuvre quasiment neuve, richement pourvue d’ensembles et de belles pages de ballet que la mise en scène a l’excellente idée de conserver. Il s’agit, en somme, d’un grand opéra à la française, dans toute sa pompe et sa grandeur, et avec son intrigue amoureuse contrariée sous un fond politico-religieux. Il fallait bien satisfaire les exigeants spectateurs de la « Grande Boutique ».


Ce spectacle coproduit avec le Teatro Regio de Turin prouve que le douzième opéra de Verdi, de grande envergure (quatre actes, trois heures et quart), mérite de figurer en bonne place au répertoire, au même titre que d’autres œuvres de cette décennie, comme Giovanna d’Arco ou I Masnadieri, un peu plus souvent présents à l’affiche ; Bonn, toutefois, l’a monté en avril et Parme le programme en octobre. Précisons qu’il a fait l’objet d’une version en italien, Gerusalemme (1850), qui ne s’est jamais imposée.


La représentation balaie rapidement les craintes quant à la compréhension de la langue française. La plupart des chanteurs, même les choristes, s’efforcent d’être éloquents et intelligibles, en dépit d’un accent parfois prononcé, alors que la tenue stylistique laisse plus à désirer. Elaine Alvarez, en particulier, élabore trop sommairement sa ligne de chant, entachée d’une émission instable et engorgée, ce qui rend ses interventions parfois éprouvantes. L’incarnation ne manque pas de force, mais de classe aristocratique. Grâce à sa tessiture et à sa puissance, la soprano cubano-américaine restitue, toutefois, de manière convaincante, le fort tempérament d’Hélène, un personnage probablement difficile à distribuer parfaitement, et sa virtuosité lui permet d’affronter ses cabalettes sans difficultés. Marc Laho trouve en Gaston un emploi à sa mesure : sans faire valoir des capacités hors du commun, ce ténor épanoui chante avec probité et raffinement, réussissant, au moyen d’un solide métier, son bel air « Je veux encore entendre ta voix ».


Roger profondément caractérisé, la basse Roberto Scandiuzzi se distingue surtout par la voix, peu malléable mais impressionnante d’autorité, et élabore une ligne fermement tenue. En revanche, même si sa prestation suscite le respect, Ivan Thirion parait sous-dimensionné en Comte de Toulouse, qui appelle un instrument plus imposant et une présence plus charismatique. S’il chante peu, en comparaison, Pietro Picone ne manque pas de séduire en Raymond, par la beauté du timbre et la rigueur stylistique, tandis que Natacha Kowalski et Patrick Delcour en Isaure et Adémar de Montheil honorent convenablement leur rôle, sans susciter un grand enthousiasme. Ayant beaucoup à accomplir, les choristes paraissent engoncés et maniérés mais suffisamment précis et homogènes, ils laissent une impression favorable sur le plan vocal.


Cette production marque les débuts de Speranza Scappucci dans cette fosse : enfin une femme à la tête de cet orchestre. Sa direction sûre et méticuleuse rend justice aux beautés de cette musique : exécution nette et vigoureuse, claire et rutilante, respectueuse de l’intégrité des chanteurs, jamais lourde ni routinière. Adoptant des tempi raisonnables, la cheffe diversifie les ambiances et obtient de belles sonorités, en dépit de cordes parfois ternes. Du beau travail, à la hauteur des défis posés par cette partition munificente. Et lors des saluts, c’est le ténor qui l’invite à recueillir les applaudissements d’un public, de toute évidence, sous le charme. Un fantasme et un rêve : comment Riccardo Muti dirigerait cette musique haute en couleur ? Et qu’aurait accompli Maria Callas dans le rôle d’Hélène ?


Dans ses notes d’intention, Stefano Mazzonis di Pralafera affirme qu’il reste fidèle à lui-même. Sauf que sa nouvelle mise en scène paraît plus épurée que d’habitude et, pour une fois, sans faute de goût. Il est vrai que le directeur général et artistique se complaît dans une approche esthétique et théâtrale extrêmement traditionnelle, pour ainsi dire dépassée, du spectacle lyrique. La direction d’acteurs demeure simple, voire simpliste, ce qui peut convenir dans une œuvre comme celle-ci, à condition de camper plus fortement les personnages et d’imprimer plus d’intensité à la représentation. Pour une intrigue aussi archétypale, une version de concert aurait probablement suffi, mais il aurait été dommage de se priver des somptueux costumes de Fernand Ruiz, en fin de compte l’élément le plus intéressant de cette scénographie de vieille école.


Des réserves et des frustrations, donc, mais l’Opéra royal de Wallonie a honorablement réussi cette réhabilitation, ce qui devrait l’encourager à s’écarter davantage du grand répertoire.



Sébastien Foucart

 

 

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