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Clémentine Margaine, une Carmen problématique

Paris
Opéra Bastille
03/07/2017 -  et 10*, 13, 16, 19, 22, 25, 28, 31 mars, 2, 5, 8, 11, 14 avril, 13, 16, 19, 22, 25, 28 juin, 2, 4, 7, 10, 13, 16 juillet 2017
Georges Bizet : Carmen
Clémentine Margaine*/Varduhi Abrahamyan/Anita Rachvelishvili/Elīna Garanca (Carmen), Roberto Alagna*/Bryan Hymel (Don José), Roberto Tagliavini*/Ildar Abdrazakov (Escamillo), Marina Costa-Jackson/Aleksandra Kurzak*/Maria Agresta (Micaela), François Lis (Zuniga), Jean-Luc Ballestra (Moralès), Antoinette Dennefeld (Mercédès), Vannina Santoni (Frasquita), Boris Grappe (Le Dancaïre), François Rougier (Le Remendado), Alain Azérot (Lillas Pastia)
Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Bertrand de Billy*/Giacomo Sagripanti/Mark Elder (direction)
Calixto Bieito (mise en scène), Alfons Flores (décors), Mercè Paloma (costumes), Alberto Rodríguez Vega (lumières)


C. Margaine, R. Alagna (© Vincet Pontet/Opéra national de Paris)


Pas moins de quatre Carmen à entendre à Paris jusqu’en juillet: point de concurrence cette fois entre Bastille et l’Opéra Comique, comme ce le fut le cas en 1999, mais bien la découverte d’une production de Calixto Bieito qui a fait le tour du monde avec succès (voir ici). Créée en 1999 à Madrid, cette Carmen élaguée de ces espagnolades allait établir durablement la réputation sulfureuse de Bieito autour d’une transposition dans l’Espagne du milieu du XXe siècle. On pourra évidemment gloser sur les provocations du metteur en scène espagnol qui met en avant l’érotisation du corps masculin (militaire courant en slip, torero à la nudité narcissique...) pour mieux évoquer la frustration de soldats en manque de jupons. C’est pourtant bien là le moteur décisif qui va conduire Don José à l’irréparable, tout autant que la chaleur torride évoquée par une brume légère et dorée, en suspension en arrière-scène.


Parfois brouillonne, la direction d’acteurs dynamique n’évite pas certaines redondances dans la vulgarité suggérée, qui contraste habilement avec la force brute d’un plateau évacué de tout décor, seulement agrémenté de quelques éléments marquants: la cabine téléphonique d’où Carmen fait son entrée magistrale en rompant son inaccessibilité, ou encore les symboles phalliques distillés ici et là, du mât unique au centre à l’acte I à l’immense taureau stylisé au IV. Après l’entracte, la mise en scène semble encore gagner en force dramatique avec l’entrechoc des voitures usées qui servent autant de terrain de jeux amoureux que de joutes fatales entre rivaux. La nudité du plateau à nouveau retrouvée lors de la scène finale, alors que les clameurs de la foule grondent dans le lointain, marque les esprits par l’intensité du jeu dévolu aux interprètes. La violence d’abord suggérée par l’atteinte matérielle, des escarpins de Carmen arrachés au sac à main éparpillé sur la scène, atteint son paroxysme dans la déchéance de l’héroïne et les cris déchirés de José.


On l’aura compris, une telle mise en scène nécessite des chanteurs parfaitement investis au niveau théâtral. C’est là l’une des grandes forces de Roberto Alagna, toujours aussi impérial dans l’incarnation comme dans sa diction. Annoncé souffrant, il peine à quelques endroits dans l’aigu avec des détimbrages inhabituels, établissant plus encore son interprétation d’un homme aux abois, éreinté par Carmen. Face à lui, Clémentine Margaine compose un rôle-titre inégal, tout simplement géniale dans la dernière scène où ses graves cuivrés splendides s’épanouissent dans la détermination et la fureur, frustrante ailleurs lorsque l’on tend l’oreille pour recueillir son medium inaudible, sans parler de ses difficultés dans les accélérations. On attendait une technique plus sûre, autrement assise que sur un chant en force, de la part d’une chanteuse accueillie sur les plus grandes scènes internationales, dans ce même rôle déjà à New York en début d’année ou encore à Salzbourg dans Le Templier de Nicolaï, à l’été 2016.


Roberto Tagliavini incarne quant à lui un Escamillo au chant trop posé et harmonieux pour réellement convaincre en bellâtre, de surcroît mal à l’aise dans l’étendue des graves. Fort heureusement, la Micaela d’Aleksandra Kurzak montre des trésors de musicalité et de subtilité dont on aimerait seulement un peu plus de projection. Mais ce n’est là qu’un détail tant son investissement dramatique force l’admiration, ce que ne manque pas de lui faire savoir un public conquis. Le reste du plateau vocal montre un niveau d’homogénéité très satisfaisant, tandis que le chef Bertrand de Billy se démarque en remplaçant Lionel Bringuier, initialement prévu. Spécialiste de cette œuvre qu’il a dirigé dans le monde entier depuis de nombreuses années, le Français reçoit une ovation méritée de la part de l’Orchestre de l’Opéra de Paris en fin de représentation. Son geste précis met en valeur chaque groupe d’instruments en dévoilant une multitude de détails, tout en portant un soin constant à la construction dramatique d’un ouvrage aux ressources multiples. Souvent sous-estimé dans nos contrées, le travail de ce chef est aujourd’hui à saluer comme l’une des grandes réussites de cette production.



Florent Coudeyrat

 

 

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