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Paris
Philharmonie
02/28/2017 -  
«Venise millénaire (700-1797), carrefour de l’Orient et de l’Europe»
Sonnerie de cloches et fanfare (instrumental)
Johannes Damaskinos : Alleluya (choral byzantin)
Marcabru : Pax ! In nomine Domini ! (chanson de croisade)
Danse de l’âme (anonyme)
Hymne au service des Matines
Chanson et danse arménienne
O totius Asie gloria (Conductus)
Chiave, chiave (anonyme)
Penitentes orate (anonyme, prière mozarabe)
Marche Nikriz
Guillaume Dufay : O tres piteulx/Omnes amici
Clément Janequin : La Guerre (Bataille de Marignan)
Salomone Rossi : Psaume 137
Adrian Willaert : Vecchie letrose (Villanesca alla napolitana)
Johanis Kladás : Hymne de la Sainte Eucharistie
Claude Goudimel : Deba contre mes debateurs
Ambrosius Lobwasser : Ficht wider meine Anfechter
Laïla Djân (danse perse, anonyme)
Claudio Monteverdi : Il combattimento di Tancredi e Clorinda, SV 153
Antonio Vivaldi : La Senna festeggiante, RV 693: «Di queste selve venite, o Numi»
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate pour piano n° 11 en la majeur, K. 300i [331]: «Alla turca» (arr. Savall)
François Marchant : Nous sommes tous des égaux (chanson révolutionnaire)
Johann Adolf Hasse : Canzonette veneziane da battello: «Per quel bel viso» & «Mia cara Anzoletta»
Luigi Bordèse : La Sainte Ligue («La nuit est sombre»), d’après les Symphonies n° 5 et 7 de Ludwig van Beethoven (arr. Savall)

Ensemble vocal orthodoxe/byzantin, Panagiotis Neochoritis (maître et directeur), Solistes de la Capella Reial de Catalunya
Musiciens d’Orient, Hespèrion XXI, Le Concert des Nations, Jordi Savall (viole de gambe et direction)




Dans leur grand ouvrage consacré à Cinq Siècles de musique à Venise (qui ne commence qu’avec le XVe siècle), H. C. Robbins Landon et John Julius Norwich écrivent notamment que «l’un des aspects les plus étonnants (et parfois, il faut bien le dire, les plus irritants) du peuple de Venise tout au long des âges a été sa faculté de s’essayer à presque toutes les activités humaines et d’y réussir superbement» (page 12, éditions Jean-Claude Lattès). La musique illustre parfaitement ce succès qui ne s’est effectivement guère démenti au fil des âges.


Et qui mieux que Jordi Savall, infatigable passeur de cultures, génial défricheur de répertoires et de sons inconnus de nous jusqu’à ce qu’il nous les donne à entendre, pouvait nous brosser ainsi un portrait musical de Venise aussi complet, des chants orthodoxes du VIIIe siècle aux compositions plus connues de Vivaldi ou Hasse en passant par les rares Rossi ou Kladás, sans compter nombre de partitions anonymes pour voix ou instruments? Car une des grandes forces de ce programme fut de nous mettre en présence des multiples influences que la vie musicale vénitienne a subies au fil des siècles. Le public de la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris (pleine à craquer!) s’est donc parfois senti plongé au cœur de l’Orient, l’imaginaire véhiculant avec lui ses couleurs (rose, pourpre, orange...), ses senteurs d’épices, son imaginaire voluptueux ou festif, et bien entendu ses sonorités souvent enivrantes. Puis, au détour d’une nouvelle œuvre, c’est l’Occident moyenâgeux qui s’impose, faisant entendre des sons plus familiers avant que les images «purement» vénitiennes servies par Monteverdi ou Vivaldi ne prennent finalement le dessus, ces diverses séquences étant régulièrement entrecoupées par les chants orthodoxes composés par des anonymes ou des compositeurs aussi peu donnés que Johannes Damaskinos (VIIIe siècle) ou Petros Peloponnesios (1735-1778)...


Arrêtons-nous d’ailleurs un instant sur les interprètes car, certes, c’est bien Jordi Savall le maître d’œuvre de tout cela mais que serait-il sans ses amis de toujours? Car, si l’on doit saluer bien bas les six chanteurs de l’ensemble vocal orthodoxe/byzantin conduits (c’est beaucoup dire puisque leur maître Panagiotis Neochoritis se présente davantage comme un de leurs égaux plutôt que comme un directeur véritable même si les soli sont de son ressort et si c’est lui qui donne à tous la pulsation et la respiration), on admirera avant tout les quatre musiciens d’Orient. Le Marocain Driss El Maloumi à l’oud (sorte de luth arabe, pour faire vite...), le Grec Dimitri Psonis au santur (instrument iranien que l’on peut comparer à un psaltérion ou un cymbalum) et à la morisca (petite mandoline effilée), le Turc Hakan Güngör au kanun (instrument à cordes pincées sur lesquelles on a pu voir ses doigts courir avec une virtuosité incroyable) et l’Arménien Haïg Sarikouyoumdjian au duduk et au belul (sortes de hautbois à la large anche double), placés tous les quatre sur le devant de la scène, parfois rejoints par l’excellent David Mayoral aux percussions, furent absolument divins, notamment dans la douce et enivrante mélopée de la Danse de l’âme. Accessoirement, comment ne pas saluer, en ces temps troublés et incertains, l’alchimie qui s’est imposée entre toutes ces nationalités tout au long de la soirée?


Peu familier de ces instruments orientaux, le public avait-il par ailleurs souvent entendu la lira (sorte de viole de gambe à la caisse de résonance et aux timbres beaucoup plus profonds) dont Jordi Savall sut user ce soir comme personne? Avait-il déjà entendu et même vu le cornet, la trompe (dans la triomphante Marche Nikriz, anonyme ottoman du XVe siècle, où Manfredo Kraemer, violoniste solo du Concert des Nations, tint pour l’occasion les cymbales) et le shofar que Jean-Pierre Canihac utilisa au fil des morceaux présentés?


Et ce sont donc tous ces timbres différents qui se mêlèrent pour le plus grand plaisir des spectateurs dans une harmonie et une cohérence stylistique qui méritent d’être soulignées. Ajoutons à cela six autres chanteurs de la Capella Reial de Catalunya, dominés par l’excellent Furio Zanasi (son chant et son sens de la déclamation dans Il combattimento di Tancredi e Clorinda firent merveille, Hanna Bayodi-Hirt campant une Clorinde des plus convaincantes), qui chantèrent tour à tour (les quatre voix masculines, individuellement comme par exemple le ténor LluisVilamajó dans l’air anonyme Chiave, chiave ou eux quatre ensemble, seulement accompagnés par l’orgue dans le Psaume 137 de Salomone Rossi). On passe avec le même entrain de la chanson de croisade de Marcabru (1100-1150) Pax! In nomine Domini! (lancée par un jeu de cloches, elle se poursuivit par l’intervention très harmonieuse des percussions, des vents puis des chanteurs, Zanasi en tête, rejoint par les trois autres voix masculines) au superbe Vecchie letrose (deux flûtes droites puis la viole, bientôt complétés par tous les chanteurs et autres instrumentistes) sans oublier l’arrangement orchestral de la Marcia alla turca de Mozart qui, toujours servie par des tonalités un brin orientales (loin d’être incongrues pour le compositeur de L’Enlèvement au Sérail!), fit sourire un public conquis.


Applaudis avec enthousiasme, l’ensemble des artistes de la soirée donnèrent en bis le Da pacem Domine d’Arvo Pärt (commande de Jordi Savall) qui, à la suite des attentats de Madrid de 2014, est jouée en Espagne chaque année en guise d’hommage aux victimes, nouvel exemple de l’humanisme du chef catalan et de l’éclectisme de ce programme musical de haute volée. Dans une de ses Lettres d’Italie (lettre XVIII du 29 août 1739), le Président de Brosses s’extasiait sur la vie musicale à Venise: «Ce n’est pas que je manque de musique: il n’y a presque point de soirée qu’il n’y ait académie quelque part; le peuple court sur le canal l’entendre avec autant d’ardeur que si c’était la première fois.» Nul doute que le concert de ce soir, malheureusement donné une seule fois, aura parfaitement illustré ce propos qui demeure pleinement d’actualité.


Le site du Centre international de musique ancienne (Capella Reial de Catalunya, Ensemble Hespérion XXI et Concert des Nations)



Sébastien Gauthier

 

 

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