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La révélation d’un immense baryton : Andrei Zhilikhovsky

Nice
Opéra
02/15/2017 -  et 17, 19, 21* février 2017
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24
Marie-Adeline Henry (Tatiana), Andrei Zhilikhovsky (Eugène Onéguine) , Igor Morozov (Lenski), Julie Robard-Gendre (Olga), Doris Lamprecht (Madame Larine), Karine Ohanyan (Filippievna), Oleg Tsibulko (Prince Grémine), Thomas Morris (Monsieur Triquet)
Chœur de l’Opéra de Nice, Giulio Magnanini (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Nice, Daniel Kawka (direction musicale)
Alain Garichot (mise en scène), Elsa Pavanel (décors), Claude Masson (costumes), Marc Delamézière (lumières), Cookie Chiapalone (chorégraphie)


(© Dominique Jaussein)


Les intentions de Tchaïkovski sur les représentations d’Eugène Onéguine, dont le livret est tiré du plus célèbre roman en vers de Pouchkine, ont toujours été d’une précision absolue comme l’atteste cet extrait de sa correspondance: «Ce qu’il me faut, ce sont des chanteurs de moyenne force mais bien préparés et sûrs d’eux-mêmes tout en sachant jouer simplement dans une mise en scène sans luxe correspondant rigoureusement à l’époque des années 1820.»


Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Opéra de Nice a su respecter à la lettre les volontés du compositeur. Pas de provocations à la Tcherniakov – et c’est tant mieux – dans la mise en scène très littérale d’Alain Garichot, conçue pour l’Opéra national de Lorraine en 1997 et reprise en 2015 à Nantes et Angers.


Le rideau s’ouvre donc sur une forêt de bouleaux qui évoque autant la nature russe que les barreaux resserrés d’un pénitencier symbolisant le carcan d’une société aux codes très rigides. Troncs d’arbres qui se transforment en piliers d’un intérieur bourgeois lors d’un bal costumé où les masques finissent par tomber pour dévoiler des visages grimés assez hostiles comme autant de geôliers. Mais les grilles de cette prison s’élèvent pour s’ouvrir sur de grands espaces dépouillés agrémentés de rares accessoires dès que la vérité des sentiments s’exprime en privé. C’est ainsi que pour mieux recentrer l’action, les décors déjà épurés d’Elsa Pavanel deviennent encore plus dénudés aussi bien dans la grande scène de Tatiana, interprétée dans une vaste chambre comportant une simple méridienne auréolée d’un immense drap en suspens, que dans l’affrontement final durant lequel une pluie de lettres s’abat sur le baryton comme autant de réminiscences d’un rendez-vous raté sous un éclairage lunaire.


De la distribution vocale se détache l’Onéguine magnifique d’Andrei Zhilikhovsky qui a parfaitement compris la complexité de son personnage. Voix de bronze, legato de rêve et nuances infinitésimales furent au service d’une incarnation majeure, absolument glaciale dans son entrée pour devenir bouleversante au dernier acte quand il a fallu fendre l’armure. Voilà, peut-être, ce que l’on a entendu de mieux dans cet opéra depuis Dmitri Hvorostovsky et il serait juste que ce jeune baryton moldave qui interprètera Schaunard dans La Bohème de l’Opéra de Paris en décembre prochain, attire davantage l’attention des grandes scènes internationales tant il joue d’ores et déjà dans la cour des grands. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.


Face à lui, le Lenski d’Igor Morozov ne bénéficie pas de la même insolence vocale et son timbre pourra paraître un peu gris face à son rival. Mais que d’intelligence musicale en compensation ! Il suffit d’écouter les pianissimi bouleversants de son «V vashem dome!» qui lance le finale du premier tableau du deuxième acte ou les nuances magnifiques de son grand air souvent murmuré en voix mixte pour s’en convaincre.


On sera, en revanche, plus circonspect sur la Tatiana de Marie-Adeline Henry, qui souffre de l’entourage idéalement slave d’interprètes masculins qui font claquer les consonnes de la langue russe quand son articulation reste un peu molle. Mais surtout, la beauté d’un timbre assez sombre et les subtilités de la fameuse «scène de la lettre» ne peuvent dissimuler des aigus souvent tendus et ouverts.


Le reste de la distribution n’appelle cependant que des éloges grâce à l’Olga tantôt espiègle, tantôt désolée de Julie Robard-Gendre ou à la Filippievna truculente de Karine Ohanyan qui tranche agréablement avec les chanteuses à la retraite auxquelles on confie, à tort, le rôle. Même constat positif pour le prince Grémine au beau legato d’Oleg Tsibulko même si la voix manque un peu de rondeur.


Mais surtout, le grand mérite de ces interprètes est d’avoir su rendre toute la complexité d’un livret qui oppose le romantisme quasi suicidaire de Lenski au détachement byronien d’un Onéguine en marge de la bonne société. Exclusion et pulsions suicidaires qui feront naturellement échos aux destins respectifs de Pouchkine et Tchaïkovski. C’est ainsi que l’écrivain russe, surnommé «le singe» par une partie de l’aristocratie pour descendre d’un esclave africain dont il avait hérité des traits mulâtres, connut la même fin tragique que Lenski au terme d’un duel perdu d’avance face à un officier devenu l’amant de sa femme. Et que dire du compositeur du Lac des cygnes dont l’homosexualité était si mal tolérée qu’elle l’accula au suicide.


Malheureusement ce «fatum», si caractéristique de l’auteur de la Symphonie «Pathétique», échappera complètement à Daniel Kawka qui s’est borné à lire la météo pendant deux heures. Comment peut-on diriger l’un des opéras les plus passionnés du répertoire en se contentant de battre ainsi la mesure avec une froide indifférence? Situation d’autant plus regrettable que les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Nice, bénéficiant de cordes homogènes, de cuivres à la justesse impeccable et d’une petite harmonie fruitée avec une mention spéciale pour les couleurs lunaires de la clarinette solo, ne demandaient qu’à s’élancer vers des horizons plus audacieux. Sans doute en était-il de même pour les chanteurs, qui ont souvent cherché à accélérer le rythme pour être systématiquement rappelés à l’ordre par un chef qui s’est contenté de jouer «Métronome Story». Dieu qu’on était loin des lectures autrement galvanisantes de Melik-Pachaïev et Khaïkine, hier, ou Jurowski et Gergiev, aujourd’hui!


Finalement, pour reprendre une jolie formule de Galina Vichnevskaïa, ceux qui ont l’âme slave, si présente dans Eugène Onéguine, savent «s’abandonner à la passion en descendant inexorablement d’un toboggan». C’est ce que les jeunes chanteurs de cette belle représentation niçoise ont parfaitement compris.



Eric Forveille

 

 

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