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La magie du son

Baden-Baden
Festspielhaus
01/25/2017 -  et 13 (Paris), 14 (Hamburg), 16 (Aalborg), 21 (Milano), 23 (Wien) janvier 2017
Paul Hindemith : Konzertmusik für Streicher und Bläser, opus 50
Edward Elgar : In the South (Alassio), opus 50
Modeste Moussorgski : Une nuit sur le mont Chauve (version Nikolai Rimski-Korsakov) – Tableaux d’une exposition (orchestration Maurice Ravel)

Chicago Symphony Orchestra, Riccardo Muti (direction)


(© Todd Rosenberg)


Depuis qu’il dirige le Chicago Symphony Orchestra, Riccardo Muti se félicite volontiers d’avoir réussi à insuffler à cette phalange autre chose que son culte inné du beau son, toujours d’un incroyable luxe rutilant. Un travail à long terme, afin de la faire rentrer dans un sillon plus raffiné et musical, en privilégiant somme toute le contenu à l’emballage.


Or avouons que lors des retrouvailles avec cet orchestre légendaire, devenu trop rare en Europe ces dernières années, ceci ne paraît pas patent. Au contraire on retrouve immédiatement le «Chicago sound» de naguère, somptueuses marées largement cuivrées qui vous emportent en apesanteur. Un phénomène que Georg Solti adorait déclencher lors de passages-clés, et dont on retrouve encore les mécanismes aujourd’hui (bel exemple ce soir à la fin du premier mouvement de la Musique de concert de Hindemith (Sehr breit): une spirale ascensionnelle totalement grisante). Sur plus de quarante années, les musiciens ont pour la plupart changé et pourtant cette culture de la perfection du mouvement global et de la densité du timbre perdure : un groupe trombones et tuba qui résonne comme de grandes orgues, des violons si parfaitement synchronisés, au centimètre de coup d’archet près, qu’ils sonnent comme un seul instrument que l’on aurait amplifié, des contrebasses presque abstraites à force d’émettre des fréquences graves parfaitement calibrées... On n’en perd pas une miette visuellement tant cette culture d’ensemble paraît innée, sans effort apparent : une technicité totalement évidente et en même temps mystérieuse...


Les grands aplats sonores de la Musique de concert de Hindemith (dédiée à Serge Koussevitzky pour le cinquantième anniversaire de l’Orchestre symphonique de Boston), sont un terrain idéal pour de tels cuivres et un tapis de cordes aussi homogène. La densité avec laquelle les musiciens soutiennent ce majestueux travail polyphonique est à proprement parler sidérante. Grâce à cet impact spectaculaire, même pour un public à relativement forte proportion mondaine (la soirée est dédiée aux sponsors du Festival de Baden-Baden), les frottements de cette musique froidement construite passent bien. On note aussi au passage, peut-être nationalité de l’orchestre commanditaire oblige, quelques curieuses dérives façon Broadway à la fin, petite concession ludique qui n’est pas sans charme. Difficile en tout cas d’imaginer une exécution plus phénoménale.


La suite n’est pas moins originale. Muti n’a pu s’empêcher d’insérer là un reflet de sa chère Italie, avec l’Ouverture In the South d’Elgar. Musique très britannique d’allure, fortement marquée aussi d’influences straussiennes, mais qui n’en décrit pas moins les impressions du compositeur pendant un séjour hivernal sur la côte ligure, en 1903/1904. Beaucoup d’images (montagnes, mer bleue, sérénade au clair de lune, réminiscences d’une Italie plus antique aussi) au cours de ces vingt minutes de carte postale sonore qui exigent une virtuosité orchestrale de tout premier plan. Entre l’activisme d’une phalange déchaînée (les trombones !) et l'agitation d’un maestro en pleine ébullition, on peut compter sur une belle démonstration, encore que parfois le flot de décibels est tel, affluant de partout en même temps, que la logique du discours se perd un peu. Par manque d’appuis plus clairement marqués, on finit par ne plus comprendre où cette musique cherche à nous mener, et c’est parfois déconcertant. Heureuse et plus reposante partie médiane, sérénade mélancolique avec un beau chant d’alto solo, sur un douillet tapis de cordes. Une fantastique démonstration, même si pour mieux comprendre cette musique, d’autres approches restent recommandées.


Moussorgski après l’entracte, exclusivement sous des travestissements divers, encore que de belle facture : l’orchestration de Ravel pour les Tableaux d’une exposition et le travail d’arrangement efficace mais bien peu fidèle de Rimski-Korsakov pour Une nuit sur le mont Chauve. De vrais morceaux de parade pour un tel orchestre, mais avec là encore, et peut-être aussi du fait d’une direction relativement prudente, une impression de réserve voire de timidité expressive qui peut surprendre. La Nuit sur le mont Chauve saisit moins par ses multiples péripéties que par l’énergie de rouleau compresseur qui semble la faire avancer toute seule. On s’en souviendra surtout pour les magnifiques couleurs de la petite harmonie vers la fin : fantomatiques, mystérieuses à souhait. Et les Tableaux d’une exposition réussissent mieux dans le contemplatif (un merveilleux «Vecchio castello», d’une ineffable poésie, ou encore de formidables «Catacombes», à grand renfort de cuivres infaillibles) que dans le tableau de genre (on a connu des «Marché de Limoges» plus hauts en couleur et des «Samuel Goldenberg et Schmuyle» plus drôles et incisifs). Imperturbable avancée dans «Bydlo», crescendo très impressionnant, et belle apothéose, avec de vraies cloches, pour «La Grande Porte de Kiev», mais sans véritable lame de fond pour terminer.


Would you like to hear some Verdi ?, demande Muti à l’heure des bis, à un public qui ne dira certainement pas non. Et voilà notre grande machine d’orchestre aux prises avec l’Ouverture de Nabucco. Et là, miracle, l’italianité de Muti semble s’insinuer partout, réveiller les influx nerveux, créer des couleurs nouvelles. De quoi largement transcender les banalités d’une musique qui n’aura jamais paru aussi vive, mélodieusement inspirée, voire géniale. Finalement, s’il ne fallait retenir qu’un moment de ce concert extrêmement riche, ce serait celui-ci.



Laurent Barthel

 

 

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