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La tectonique des plaques selon Harrison Birtwistle Paris Philharmonie 02/01/2017 - et 2* février 2017 Harrison Birtwistle : Earth Dances
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, opus 15 Paul Lewis (piano)
Orchestre de Paris, Daniel Harding (direction)
P. Lewis
Pour le pianiste Nicolas Hodges, il est «l’un des plus grands compositeurs britanniques, peut-être le plus grand depuis Purcell»; avec George Benjamin et Brian Ferneyhough, il comptait certainement parmi les plus appréciés de Pierre Boulez. Mais le public d’ordinaire chaleureux des Proms réserva un accueil mitigé à la création de Panic (1995), tandis que Jean-Noël von der Weid, dans La Musique du XXe siècle (Pluriel), épingle ainsi les 9 Settings of Celan (1996): «Pièce monotone, harassée, hérissée de stridences lassantes». En France, on ne le connaît guère mieux que feu Peter Maxwell Davies, son exact contemporain. C’est dire si l’on se réjouissait d’entendre les Danses de la terre (1986) de Sir Harrison Birtwistle (né en 1934) en création française par l’Orchestre de Paris et son directeur musical.
Dédiée à Pierre Boulez qui l’enregistra avec l’Ensemble Modern (live, DG), la pièce, bien que précédée d’une réputation avantageuse de «Sacre du printemps de la fin du XXe siècle», peine à convaincre au disque. Le concert fait en revanche apparaître toutes ses vertus. Comment Birtwistle tire-t-il parti se son orchestre imposant (cuivres par quatre, deux harpes, sept percussionnistes en perpétuelle activité)? Le programme parle de «plaques tectoniques»: on se situe en effet à l’épiderme de la terre, dont la musique se propose de sonder les vibrations. Si certaines sections se montrent plus denses et pulsées que d’autres, l’explosion tant attendue n’interviendra jamais – contrairement au final de la première partie du Sacre – et l’œuvre s’achèvera «sur l’épuisement du matériau». Peu lisible au disque, la structure s’éploie naturellement en visionnant l’orchestre en mouvement: sons d’avant la Genèse aux cuivres précèdent ces secousses telluriques et autres scansions spasmodiques qui n’auront de cesse que de propulser la musique vers l’avant. On songe par endroits aux Amériques (1921, révision 1927) d’Edgard Varèse, mais sans les saillies paroxystiques. Les cordes dessinent à plusieurs reprises une phrase, rare échappée lyrique dans un monde convulsif et oppressant, avant un très poétique passage de relais final au pupitre des bois constitué de bribes mélodiques. On n’en voudra pas à Daniel Harding, dont la gestique à mains nues n’était pas sans tropisme boulézien, d’avoir dirigé le nez dans la partition tant celle-ci regorge de complexités rythmiques (le chiffrage change à quasiment chaque mesure). Mais les regards complices échangés lors des saluts entre le chef et les musiciens indiquent que l’exécution a gagné en accomplissement par rapport à celle de la veille. Une révélation!
Paul Lewis et Daniel Harding ont gravé pour Harmonia mundi ce Premier Concerto pour piano de Brahms qui occupe la seconde partie du concert. A l’Orchestre de la Radio suédoise se substitue l’Orchestre de Paris, dont le chef britannique façonne de concert en concert l’esthétique sonore: on est frappé par le cantabile retenu du second thème et du soyeux des cordes. On retrouvera cette manière de faire chanter chaque contrechant, comme s’il n’y avait pas de Hauptstimme («voix principale»), dans un Adagio en totale apesanteur où hautbois et clarinettes rivalisent de lyrisme. Le jeu de Paul Lewis s’impose par sa transparence – les basses sont comme allégées – et son héroïsme contenu: on a connu des octaves plus péremptoires mais ce doigté à fleur de touche, plus attaché au dessin qu’à la couleur, replace en arrière-fond aussi bien la figure de Beethoven que de Mendelssohn. Irrésistible Final, incisif et bondissant, soulevé par les baguettes en bois du timbalier Camille Baslé.
Le site de Paul Lewis
Jérémie Bigorie
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