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Un chef-d’œuvre d’Amadeo Vives nommé La Villana Madrid Teatro de la Zarzuela 01/27/2017 - et 28*, 29 janvier, 1er, 2, 3, 4, 5, 8, 9, 10, 11, 12 février 2017 Amadeo Vives : La Villana Nicola Beller Carbone/Mayte Alberola* (Casilda), Milagros Martín (Juana Antonia), Sandra Ferrández (Blasa), Angel Odena/César San Martín* (Peribánez), Jorge de León/Andeka Gorrotxategi* (Don Fadrique), Rubén Amoretti (David, Rey), Manuel Mas (Roque), Javier Tomé (Olmedo), Ricardo Muniz (Miguel Angel)
Coro del Teatro de La Zarzuela, Antonio Fauró (chef de chœur), Orquesta de la Comunidad de Madrid, Miguel Angel Gómez Martínez (direction musicale)
Natalia Menéndez (mise en scène), Nicolás Boni (décors), María Araujo (costumes), Juan Gómez-Cornejo (lumières), Mónica Runde (chorégraphie)
(© Javier del Real)
A quelques encablures du quartier des musées se trouve une institution madrilène dont le rayonnement est loin d’égaler celui du Prado. Le Teatro de la Zarzuela mériterait pourtant d’attirer un public autre que celui des aficionados: d’aucuns envisageraient peut-être, les yeux repus de Vélasquez et autres Goya, d’y traîner une oreille distraite... avant de se laisser captiver par un spectacle enchanteur.
Surtout s’il affiche La Villana d’Amadeo Vives (1871-1932). Il faut saluer la programmation audacieuse du directeur de l’établissement, Daniel Bianco. Créée en 1927, La Villana n’a eu droit qu’à une reprise au début des années 1980. Un enregistrement avec Montserrat Caballé dans le rôle-titre immortalisa au disque (BMG, 1973) une œuvre passionnante, en tout point digne de partager la renommée de Dona Francisquita (1923). On y retrouve d’ailleurs le tandem Federico Romero et Guillermo Fernández-Shaw à la confection du livret, inspiré d’une pièce de Lope de Vega. Le Guide de la Zarzuela de Pierre-René Serna (Bleu nuit éditeur), qui est aux amateurs du genre ce que Le Voyage artistique à Bayreuth d’Albert Lavignac est aux wagnériens, croque l’intrigue en quelques phrases bien troussées: «Où l’on retrouve le trio habituel à l’opéra: les deux amoureux, perturbés par un perfide individu. A ceci près, particularité propre au genre de la zarzuela, que le gentil personnage masculin est incarné par un baryton, et le méchant par un ténor.»
On pourra toujours déplorer quelques coupures – que le programme a l’honnêteté d’indiquer précisément –, voilà une représentation qui tient ses promesses: Natalia Menéndez possède le métier nécessaire pour fluidifier les rouages d’une intrigue qui n’est pas sans rappeler certaines pièces de Marivaux et le Così de Mozart/Da Ponte. Pour ce qui est de l’ambiance bucolique, on évolue plutôt dans Mireille, les montagnes encerclant la capitale espagnole se substituant à la Provence de Frédéric Mistral. Si les costumes sembleront flirter avec le XIXe siècle – alors que l’histoire est censée se dérouler à l’époque de Lope de Vega –, cette entorse à la chronologie ne nuit aucunement à la compréhension de l’intrigue.
La surprise majeure vient des chanteurs: on en entend peu, tant s’en faut, d’une semblable qualité, y compris sur des scènes parisiennes autrement plus exposées. Lorsqu’on réalise qu’il s’agit de la «seconde distribution», l’envie de tresser des lauriers démange les mains: Mayte Alberola (la «villana», c’est-à-dire la roturière) n’est que candeur mâtinée de séduction. On en rêverait en Mireille de notre Gounod. Assortiment au cordeau (duo torride peu avant la fin de l’acte II) avec le baryton à la fois franc et noble de César San Martín. Face à eux, Andeka Gorrotxategi (Don Fadrique) cultive avec art l’arrogance propre à son personnage et à la tessiture qui lui est assignée sans jamais faillir stylistiquement. Les personnages secondaires suscitent le même enthousiasme, bien que l’acoustique assez sèche du théâtre ne mette pas forcément en valeur les chœurs (parfois criards) et les musiciens de l’orchestre de céans. Ces derniers, après un départ fébrile, ont donné le meilleur d’eux-mêmes dans les deux derniers actes, portés par la direction vitaminée de Miguel Angel Gómez Martínez.
Il faudrait parler davantage de la musique: les arabesques séductrices de Casilda dans l’air de la cape, la courbe magnifique de l’air du vin de Peribánez, l’intarissable veine mélodique des chœurs, la jota castellana du dernier acte, autant de moments de grâce qui suffiraient à prouver, loin des anthologies d’airs à succès auxquelles le répertoire demeure trop souvent confiné, qu’une zarzuela se déguste prioritairement dans son intégralité.
Jérémie Bigorie
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