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Fascinant voyage Paris Cité de la musique 01/27/2017 - et 6 (Stockholm), 14 (Madrid) février 2017 Robert Schumann: Drei Gesänge, opus 83 – Fünf Lieder und Gesänge, opus 127 – Sechs Gedichte und Requiem, opus 90 – Romanzen und Balladen, opus 49 – Liederkreis, opus 24 – Vier Gesänge, opus 142 Christian Gerhaher (baryton), Gerold Huber (piano)
G. Huber, C. Gerhaher (© Alexander Basta/Sony BMG Classical)
Le baryton munichois Christian Gerhaher est de plus en plus souvent à Paris. On a ainsi pu l’entendre en début de saison dans les Scènes de Faust de Schumann qui inauguraient le mandat de Daniel Harding à l’Orchestre de Paris, dans ce rôle tiré de Goethe qu’il connaît bien pour l’avoir enregistré avec ce chef à Munich et qu’il a marqué de son empreinte. Il était ici invité dans le cadre du week-end «Lied» de la huitième Biennale d’art vocal, qui réunissait du 20 au 29 janvier des formes un peu hétéroclites de musique vocale.
Magnifique et intelligent programme entièrement consacré à Robert Schumann que celui construit par ces deux artistes dont le compagnonnage artistique est ancien. Les tenues sont classiques comme l’est la présence du chanteur au creux du piano la main droite sur l’instrument, non loin d’un pupitre où figurent quelques-uns des textes. La judicieuse mise en place d’un surtitrage aide à pénétrer un programme un peu austère n’incluant aucun des chefs-d’œuvre de la maturité de Schumann – on pense naturellement aux Amours du poète – mais qui a néanmoins attiré ce soir à la Cité de la musique un public nombreux et manifestement averti.
Les Drei Gesänge qui débutent ce concert sont à peine murmurés mais l’incroyable art de diseur de Christian Gerhaher est déjà là, chaque mot ciselé, chaque inflexion pensée, chaque articulation juste. Mais on remarque aussi d’emblée un étrange phénomène: dès que Gerhaher chante le piano intéresse moins, alors qu’à l’inverse, il existe pleinement dès que le chanteur s’efface.
Dans les Fünf Lieder und Gesänge, la voix de Gerhaher, désormais plus ouverte, peut enfin démontrer ses immenses capacités. Le timbre, on le sait, est très clair et pur à la fois, l’homogénéité sans faille, les nuances et le souffle sont au service du dire, du chanter, du raconter. Chaque lied devient ainsi une pièce isolée, unique, tout en étant liée aux précédentes et aux suivantes. Les Sechs Gedichte und Requiem montrent un Gerhaher tour à tour forgeron, poète, voyageur, berger, esseulé ou angoissé. A chaque lied, la caractérisation est idéale, poussée à son maximum, mais sans jamais d’excès.
En seconde partie, après des Romanzen und Balladen chantées non sans humour (notamment «Les Deux Grenadiers» qui évoque Napoléon), Christian Gerhaher et Gerold Huber attaquent le centre du programme avec ce Liederkreis opus 24 moins célèbre que le Liederkreis opus 39 sur des textes d’Eichendorff, avant de terminer avec les Vier Gesänge opus 142, œuvre de la maturité. Gerhaher est ici au cœur de son art. L’attention portée à tout instant à chaque note comme à chaque mot, chaque syllabe, chaque consonne, chaque voyelle est réellement fascinante. Cette précision sur le texte ne nuit pas à la musicalité, bien au contraire. Et cette interaction permanente entre la musique et le texte, jointe à une phénoménale précision dans les mots comme dans les notes, permet une mise en résonnance, sans doute essence même du lied allemand et meilleure porte d’entrée possible dans un monde fascinant mais tout de même un peu mystérieux. Du très grand art par un immense musicien sans doute au sommet de ses possibilités vocales et expressives, et qui se place sans contestation possible dans la lignée de ses illustres prédécesseurs allemands, Dietrich Fischer-Dieskau, Hermann Prey ou, plus proche de nous, Matthias Goerne.
En bis, Christian Gerhaher et Gerold Huber offrent à un public conquis «Warnung» (opus 119 n° 2), et «Mein schöner Stern» (opus 101 n° 4). Triomphe absolu!
Le site de Christian Gerhaher
Gilles Lesur
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