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Lumières et tragédies au Nord

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
01/19/2017 -  et 20 janvier 2017
Carl Nielsen : Ouverture «Helios», opus 17
Mieczyslaw Weinberg : Concerto pour violoncelle, opus 43
Jean Sibelius : Symphonie n° 5, opus 82

Nicolas Altstaedt (violoncelle)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Leif Segerstam (direction)


L. Segerstam


Commencer un concert par l’Ouverture Helios de Nielsen est une marotte commune chez les chefs scandinaves, mais c’est aussi une excellente idée. Ce tableau musical de proportions modestes, reflet impressionniste d’un voyage méditerranéen (un lever de soleil sur fond de paysage marin) impose d’emblée à l’orchestre, voire au public, une concentration importante. Au-delà de vraies difficultés de réalisation (beaucoup de phrases en valeurs longues à tenir, dont certaines périlleuses), Nielsen y crée de belles ambiances, avec çà et là ces petites friandises harmoniques dont il a le secret, presque naïves mais toujours efficaces. Sous les impulsions de la baguette majestueusement agitée par Leif Segerstam, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg se sort honorablement de l’embûche, même du côté des cors, au moins sans accident, ce qui est un déjà bel exploit. Pour être comblé on apprécierait davantage d’aération, un frémissement de nature plus omniprésent, mais en l’état cette lecture d’une partition peu familière est déjà de belle tenue.


Une partie au moins de l’œuvre de Mieczyslaw Weinberg devrait être mieux connue. Un opéra de la densité de La Passagère, par exemple, mériterait vraiment d’être beaucoup plus fréquemment représenté, en dépit de la difficulté du sujet. Que cette notoriété s’étende ensuite à l’ensemble d’un corpus symphonique et de chambre particulièrement abondant peut en revanche se discuter au cas par cas, certains fléchissements d’inspiration ou automatismes d’écriture pouvant parfois dissuader de s’attarder. Le cas du Concerto pour violoncelle s’inscrit un peu dans ces limites-là. L’exiguïté du répertoire des violoncellistes incite certainement à l’exhumer, et on y trouve effectivement de belles choses, mais aussi quelques facilités. Comme toujours chez Weinberg la fibre humaine, le vécu intense d’un juif exilé et continuellement inquiété où qu’il ait pu se réfugier, sont très prégnants. Le thème tout simple sur lequel tout ce concerto est bâti éveille d’emblée des résonances douloureuses et intimes, d’une immédiateté qui pourrait facilement servir dans un contexte cinématographique. Si Steven Spielberg n’avait pas eu banalement John Williams sous la main pour La Liste de Schindler, il aurait pu tout à fait facilement utiliser les deux premières pages de ce concerto, teintées de mélancolie voire de véritables touches d’un klezmer bien caractérisé. Ensuite, et ce jusqu’à une cadence plutôt intense, on observe quelques passages plus difficiles à habiter, où la phraséologie instrumentale paraît tirer un peu à la ligne, et ce malgré l’engagement fougueux du soliste Nicolas Altstaedt. Manque peut-être à ce dernier un instrument d’un timbre plus clair, qui lui permettrait de mieux imposer sa ligne mélodique face à un orchestre assez envahissant. Encore que Leif Segerstam impose de son côté des tempi relativement allants, qui évitent la tentation du larmoiement. Quoiqu’il en soit un beau concerto à découvrir, dont on peut recommander aussi l’enregistrement tout récent par le même Altstaedt à Berlin (Channel Classics), d’un esprit un peu différent, plus tragique, voire rééquilibré plus favorablement par la prise de son.


L’irremplaçable Leif Segerstam, silhouette toujours aussi bonhomme, longs cheveux et barbe blancs, locomotion difficile et surtout petites mains potelées dotées d’incomparables pouvoirs de suggestion, peut passer à juste titre pour un spécialiste de Sibelius, encore que, à force de remettre sans cesse ses symphonies sur le métier, il en arrive à des résultats tellement dissemblables qu’on ne sait plus très bien lequel pourrait passer pour un modèle d’idiomatisme finlandais. Ce soir sa Cinquième Symphonie déconcerte, tellement travaillée sur le détail des attaques, la suspension des silences et le grain même du son, qu’on peine parfois à la reconnaître. Le résultat est cependant superbe, même si du coup cette œuvre plutôt facile d’accès d’habitude, devenait plutôt d’une âpreté fascinante proche des Quatrième et Sixième Symphonies voisines dans la production de Sibelius. Les quelques passages plus attendus en acquièrent un relief énorme et l’attitude de l’orchestre, totalement concentré et attentif, parcouru de grandes houles déclenchées par la gestique à la fois impérieuse et toujours lisible du chef, fait plaisir à voir. Assurément une exécution magistrale, même si très particulière.


Non moins spéciale, la Valse triste accordée en bis. Tragique en diable, expressionniste, souvent en suspens sur de longs silences inquiétants (voire dangereux : la flûte, qui doit attaquer à deux reprises après ces trous béants, ne paraît pas du tout à l’aise). Un inoubliable rituel morbide, lentement scénarisé sous nos yeux par un prodigieux magicien.



Laurent Barthel

 

 

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