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Anne-Catherine Gillet en état de grâce dans la Manon de Massenet Monaco Monte-Carlo (Opéra) 01/20/2017 - et 22*, 25, 27 janvier 2017 Jules Massenet : Manon Anne-Catherine Gillet*/Vanina Santoni, Jean-François Borras/Arturo Chacón-Cruz* (Le chevalier Des Grieux), Lionel Lhote (Lescaut), Charlotte Despaux (Poussette), Jennifer Michel (Javotte), Marion Lebègue (Rosette), Marc Barrard (Le comte Des Grieux), Rodolphe Briand (Guillot de Morfontaine), Pierre Doyen (Brétigny), Philippe Ermelier (L’hôtelier)
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Stefano Visconti (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Alain Guingal (direction musicale)
Arnaud Bernard (mise en scène), Alessandro Camera (décors), Carlo Ricotti (costumes), Patrick Méeüs (lumières)
(© Alain Hanel)
Ces représentations de Manon étaient très attendues du public monégasque en raison de la prise de rôle de Sonya Yoncheva. Malheureusement la soprano bulgare ainsi que son partenaire, Jean-François Borras, l’un et l’autre souffrants, durent céder respectivement la place à Anne-Catherine Gillet (qui sera relayée par Vanina Santoni pour les deux dernières représentations) et Arturo Chacón-Cruz.
C’est peu dire que la cantatrice belge releva le défi avec panache dans une production de Lausanne qu’elle avait déjà défendue trois ans plus tôt. Son timbre jeune et cristallin sut rendre parfaitement justice au caractère hybride de la partition qui requiert deux voix pour le prix d’une: un soprano léger inscrit dans la tradition de l’opéra-comique et vocalisant à la perfection dans les deux premiers actes et un format plus lyrique exigeant une projection et un médium plus nourris à partir de la scène de Saint-Sulpice. Enfin, outre l’adéquation au rôle, cette Manon subtile et nuancée fut profondément émouvante grâce à un remarquable travail sur les couleurs, les pianissimi et l’articulation.
On n’en dira cependant pas autant d’Arturo Chacón-Cruz, qui eut l’immense mérite de sauver la représentation tout en déployant un chant un peu monochrome et forcé au point de couvrir trop souvent sa partenaire dans les duos. Et pourtant, le Chevalier Des Grieux de Massenet n’est pas celui de Puccini et l’«air du rêve» doit être davantage murmuré qu’assené...
Fort heureusement, le reste de la distribution n’attire que des éloges en raison du choix judicieux d’une équipe franco-belge rompue au style de l’opéra hexagonal. Diction impeccable chez tous, sourires grinçants du Guillot de Rodolphe Briand, espièglerie de la Poussette de Charlotte Despaux, clarté de la ligne du Lescaut de Lionel Lhote, autorité menaçante du Comte Des Grieux de Marc Barrard et puissance de l’expression du Brétigny de Pierre Doyen forcent le respect et rappellent à quel point les rôles dits secondaires ne le sont jamais chez Massenet.
L’ensemble fut admirablement servi par les décors d’Alessandro Camera et les costumes de Carlo Ricotti, tout droit sortis d’une toile de Quentin de La Tour en rappelant opportunément que le «siècle des Lumières» avait aussi sa part d’ombre notamment dans une «scène du tripot» assez sordide sans jamais sombrer dans le voyeurisme. Contextualisation mise aussi en valeur par l’«air du Cours-La-Reine» interprété par Manon du haut d’une montgolfière dont l’apparition spectaculaire suggérait bien le divorce grandissant entre l’héroïne et le monde du réel. Enfin la mise en scène d’Arnaud Bernard, conjuguant habilement la liesse des tableaux d’ensemble avec l’intimisme des grands airs conçus comme des arrêts sur image grâce à l’usage intelligent de panneaux coulissants destinés à gommer l’arrière-plan, donna beaucoup de lisibilité au livret inspiré du roman de l’abbé Prévost.
Cette représentation de haut niveau rappelle opportunément, si besoin est, qu’il existe toujours des artistes francophones de grand talent largement sous-employés à l’étranger et c’est bien dommage. Gageons néanmoins que l’Opéra de Monte-Carlo continuera à faire exception à la règle et espérons qu’un jour il ressuscitera L’Aiglon d’Ibert et Honegger, créé in loco en 1937, et récemment défendu au disque par Anne-Catherine Gillet dont la Manon fut, hier, la «reine de la fête».
Eric Forveille
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