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Karita Mattila en majesté Paris Maison de la radio 01/21/2017 - Jean Sibelius : Tapiola, opus 112 - Luonnotar, opus 70
Ludwig van Beethoven : Ah perfido!, opus 65
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 1 en fa mineur, opus 10 Karita Mattila (soprano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Mikko Franck (direction)
K. Mattila (© Lauri Eriksson)
Retour à Sibelius pour Mikko Franck qui a visiblement décidé d’explorer toute l’œuvre de son compatriote depuis son accession à la tête du Philharmonique de Radio France en 2015 (voir notamment ici, ici et ici). On ne s’en plaindra pas évidemment, tant l’ancien élève de Jorma Panula est visiblement à son aise ici, s’appliquant à apposer un éclairage singulier sur la musique de Sibelius – sous le regard avisé de Marc Vignal, spécialiste incontesté du maître finlandais, présent dans le public. Mikko Franck s’intéresse cette fois à deux petites perles peu visitées au concert: la toute dernière œuvre symphonique, Tapiola (1926), et l’une des rares incursions de Sibelius dans la musique pour voix et orchestre, avec Luonnotar (1913).
Avec Tapiola, on reconnaît d’emblée le style habituel de la direction de Mikko Franck, attentif à l’allégement de la masse orchestrale et à la précision des attaques, en une lecture analytique à la respiration lente et harmonieuse, presque séquentielle, d’où ressortent les passages lents comme éthérés et suspendus. Le contraste n’en est que plus vif dans les tutti verticaux cravachés en un ton martial et péremptoire. Cette optique ne manque pas de pertinence ici, faisant ressortir toute la modernité de Sibelius dans cette œuvre qui frise l’atonalité dans sa dernière partie, tandis que l’épure du début fait ressortir tout ce que les minimalistes doivent à Sibelius dans la mise en valeur des contrechants hypnotiques et répétitifs. Pour autant, on regrettera une fois encore que ce régime sec s’applique uniformément à une œuvre déjà dégraissée par Sibelius lui-même: de tels partis pris s’appliquent mieux aux premières œuvres du compositeur finlandais (où percent l’influence de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov) et à la musique romantique en général.
Avec l’entrée en scène de la soprano Karita Mattila, tous les yeux se tournent vers ce phénomène lyrique irrésistible de présence et d’engagement dès les premières notes entonnées. A l’instar de sa dernière grande prestation parisienne dans Ariane à Naxos, la Finlandaise s’investit dans Luonnotar comme si sa vie semblait en dépendre, faisant corps avec la vierge exaltée du Kalevala à l’image de ses trois non («Ei, Ei, Ei») prononcés avec une rage inouïe, se tournant ensuite vers l’orchestre comme pour le défier. On en oublie dès lors l’aigu un peu durci par endroit au début, pour se concentrer sur la rondeur des phrasés et l’intelligence du texte, porté par une diction sans pareil. Une prestation un rien inégale pour qui serait habitué à une version discographique plus confortable, mais irrésistible lorsque la voix est en pleine puissance ou réfugiée dans les graves préservés.
Après l’entracte, la diva est de retour dans Beethoven et l’exaltation de son air célèbre «Ah perfido!»: les aigus moins périlleux permettent à la soprano de se sentir plus à l’aise encore afin de faire valoir toutes les qualités interprétatives déjà audibles dans le Sibelius, puis recueillir une ovation méritée à la fin de sa prestation. Retour ensuite au XXe siècle avec Chostakovitch et sa toute Première Symphonie composée en 1924 et 1925 comme parachèvement de ses études au Conservatoire de Leningrad. On a là déjà une œuvre pleinement mature, annonciatrice des grands chefs-d’œuvre à venir. L’élégance de Mikko Franck s’épanouit sans oublier de mettre en relief les nombreux solos ici à l’œuvre – tout particulièrement l’irrésistible premier violon d’Amaury Coeytaux. On retrouve les contrastes cinglants refusant toute lecture narrative et dramatique, tournant les aspects sombres de ce jeune Chostakovitch vers la désolation résignée davantage que vers le pathos ardent, tandis que les parenthèses virevoltantes et virtuoses du délicieux deuxième mouvement révèlent un Mikko Franck plus espiègle qu’il n’y paraît. Reste également à souligner l’art des transitions, toujours aussi remarquable chez le Finlandais, qui permet l’expression de climats souvent inattendus, telle l’arrivée impromptue de la caisse claire, comme sortie de nulle part, dans le dernier mouvement.
Florent Coudeyrat
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