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Iphigénie Gens Paris Palais Garnier 12/02/2016 - et 4*, 7, 9, 12, 15, 19, 22, 25 décembre 2016 Christoph Willibald Gluck : Iphigénie en Tauride Véronique Gens (Iphigénie), Etienne Dupuis (Oreste), Stanislas de Barbeyrac (Pylade), Thomas Johannes Mayer (Thoas), Adriana González (Diane, Première prêtresse), Emanuela Pascu (Seconde prêtresse, Une femme grecque), Tomasz Kumiega (Un Scythe, Un ministre), Renate Jett (Iphigénie, rôle muet)
Chœur de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (direction), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Bertrand de Billy (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (vidéo), Claude Bardouil (chorégraphie), Miron Hakenbeck (dramaturgie)
E. Dupuis, V. Gens (© Guergana Damianova/Opéra national de Paris)
Souvenez-vous : le miroir qui reflétait le public, le renvoyant à sa propre histoire, la maison de retraite, les lavabos, la vidéo... les huées à la fin. L’Iphigénie en Tauride de Gluck revue par Krzysztof Warlikowski fut un des grands coups d’éclat de Gerard Mortier. Pour le Polonais, un coup d’essai et un coup de maître. Ses productions suivantes suscitèrent parfois autant de scandale, mais on savait à quoi s’attendre. Aujourd’hui, cette Iphigénie, quelque peu élaguée d’ailleurs, est un classique... toujours aussi copieusement hué – en tout cas à la deuxième représentation. Revoici donc cette vieille femme, seule avec ses souvenirs, à moins qu’elle se rêve Iphigénie, hantée par le passé d’une famille souillée par l’inceste, celle d’Agamemnon ou une autre, plus moderne. Tout Warlikowski est là, à travers cette oscillation entre le mythe et le fait divers, ce jeu de miroirs perpétuel – une actrice double la sœur d’Oreste. Il nous raconte pourtant bel et bien l’histoire, jusqu’au meurtre de Thoas : loin de la détruire, il relit la tragédie grecque.
Véronique Gens serait-elle Iphigénie, ce rôle de falcon avant l’heure, dont même des mezzos se sont emparés ? Les premières mesures donnent la réponse : sans se durcir, la voix s’est assez corsée, pas seulement dans l’aigu, pour affronter la tempête qui va jeter Oreste et Pylade sur le rivage. Impeccable déclamation, ligne patricienne, tout ressuscite en elle le grand style français, sans parler de l’intensité douloureuse de l’interprétation. Mais pourquoi avoir ainsi baissé « O malheureuse Iphigénie », devenu du coup une sorte d’élégie rêveuse, dont elle n’avait rien à craindre et dont la transposition met le bas médium et le grave à la peine ?
Stanislas de Barbeyrac et Etienne Dupuis ne partagent pas seulement un amour sacrificiel, ils se rejoignent – et la prêtresse aussi – par la beauté du timbre, la noblesse mâle ou tendre du phrasé, l’aisance de l’aigu. A peine regrettera-t-on que le baryton canadien ne mette pas davantage à vif les plaies brûlantes de la conscience d’Oreste. Le Thoas de Mayer, en revanche, constitue une de ces erreurs de distributions dont l’Opéra peut malheureusement avoir le secret : totalement à contre-emploi, il aboie ses syllabes et ses notes, péniblement dépassé par des aigus exigeant une tout autre tessiture.
Dira-t-on que Bertrand de Billy, pourtant excellent chef d’opéra, déçoit ? A vrai dire, cela vient plutôt de l’orchestre. A une direction soucieuse d’équilibre entre la théâtralité et la subtilité, entre une approche « moderne » et une approche traditionnelle, les musiciens répondent par une sorte d’indifférence, comme s’ils n’avaient guère envie de jouer un répertoire dont ils ont, il est vrai, perdu l’habitude – on le confie souvent à des ensembles « baroques », ce que fit d’ailleurs Gerard Mortier en sollicitant Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre, puis Ivor Bolton et l’Orchestre baroque de Fribourg. Toujours relégué dans la fosse, le chœur semble contaminé.
Didier van Moere
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