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Un couple au diapason Paris Maison de la radio 12/08/2016 - Maurice Ravel : Une barque sur l’océan
Edward Elgar : Concerto pour violoncelle, opus 85
Benjamin Britten : Four Sea Interludes from “Peter Grimes”, opus 33a
Claude Debussy : La Mer Sol Gabetta (violoncelle)
Orchestre national de France, David Afkham (direction)
S. Gabetta (© Radio France/Christophe Abramowitz)
C’est à un superbe programme de musique anglaise et française de la première moitié du XXe siècle que nous convie à la Maison de la radio le jeune chef David Afkham (né en 1983), régulièrement invité par l’Orchestre national de France (voir ici ou ici). On pourra noter la place prépondérante donnée à l’élément marin dans les pièces ici réunies (seul le Concerto d’Elgar dénotant quelque peu), source d’inspiration pour le courant impressionniste musical dominé par Debussy. Il revient à Ravel d’ouvrir la soirée avec Une barque sur l’océan, pièce brève orchestrée en 1906 à partir de l’original pour piano extrait du recueil Miroirs – seul Alborada del gracioso aura également cet honneur. Le chef allemand fait valoir son souci habituel des textures allégées, admirablement porté par la souplesse des transitions et l’importance égale donnée aux pupitres: ici, le fondu domine en une suite d’ambiances un rien statique mais délicatement évocatrice.
Déjà entendue en début d’année avec le Philharmonique de Radio France, la violoncelliste Sol Gabetta (née en 1981) semble former un couple idéal avec Afkham: pas seulement en raison de leurs ravissants minois respectifs, mais bien plutôt pour cette entente artistique évidente qui imprime d’emblée une aura de concentration autour du Concerto pour violoncelle d’Elgar. L’Argentine épouse en effet le geste mesuré et subtil d’Afkham par la grâce toute de probité et de précision qui est la marque de son style. On pourra évidemment décrier son manque évident de puissance, qu’elle ne cherche cependant en rien à cacher, jouant davantage sur l’évocation et la poésie, à rebours de versions plus spectaculaires bien connues telle que celles de Jacqueline du Pré (avec Barenboim ou Barbirolli). Afkham s’évertue à ne jamais couvrir sa soliste, tout en faisant valoir son sens de la respiration harmonieux en un tempo mesuré. Très étagée, sa direction évite tout vibrato pour privilégier une lecture probe à l’émotion pudique. En bis, Sol Gabetta et le pupitre des violoncelles s’emparent du charmant Chant des oiseaux de Pablo Casals, achevant de recueillir l’approbation d’une salle quasi comble.
Après l’entracte, l’allégement des textures voulu par Afkham réussit moins aux quatre mouvements symphoniques extraits du Peter Grimes de Britten, l’orchestration déjà raréfiée du compositeur anglais supportant mal cette radiographie imposée. Aucun climat de mystère n’entoure les premières notes de l’«Aube», tandis que la page suivante, «Dimanche matin», avance en un geste vif évitant tout sentimentalisme. Globalement, on retrouve ici certains tics de direction contemporains, où l’on ralentit les mouvements lents à l’extrême pour accélérer plus encore, en contraste, les passages rapides. Le «Clair de lune» n’évite pas ce parti pris et s’enfonce dans un immobilisme plat et sans intensité. Le tout dernier mouvement s’avère plus réussi, avec une nette propension à privilégier les graves autour d’une lecture verticale, presque sauvage, refusant tout lyrisme sur la fin.
Mis en difficultés par les intentions d’Afkham, les cuivres et les cors se rattrapent dans La Mer de Debussy, il est vrai aidés par leur meilleure connaissance de cette œuvre emblématique du répertoire français. Après un début hésitant où le chef allemand refuse une fois encore toute lecture narrative, son geste convainc davantage par les détails révélés, tandis que les attaques souples offrent des contours inattendus aux oppositions entre les pupitres, moins marquées qu’à l’habitude. On retiendra encore le solo hypnotisant du cor anglais du toujours excellent Laurent Decker, tout en insistant sur la meilleure maîtrise d’Afkham dès lors qu’il s’agit de «déromantiser» une œuvre: La Mer, sans doute, possède encore certains échos du wagnérisme et du franckisme pour permettre ce dégraissage toujours intellectuellement intéressant, à défaut de nous emporter physiquement.
Florent Coudeyrat
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